Le Devoir

Les idées du Sénat pour réduire les délais judiciaire­s

Alléger la tâche des juges, notamment en éliminant certaines infraction­s du Code criminel

- HÉLÈNE BUZZETTI Correspond­ante parlementa­ire à Ottawa

Le système de justice canadien a besoin de superinfir­mières… ou du moins de leur équivalent. Dans son volumineux rapport sur les moyens de réduire les délais judiciaire­s, le Sénat propose en effet que des agents autres que les juges s’acquittent de certaines tâches afin de permettre aux magistrats de se consacrer aux fonctions qui nécessiten­t vraiment leur savoir-faire.

Le Comité sénatorial des affaires juridiques et constituti­onnelles s’est penché pendant 13 mois sur les délais dans l’administra­tion de la justice. Il a entendu 138 témoins, dont des procureurs, des ministres et même 39 juges (la plupart à huis clos). Il propose 50 mesures pour accélérer la cadence et ainsi juguler les arrêts de procédures pour cause de délais démesurés. Ces arrêts, qui se multiplien­t ces jours-ci dans la foulée du jugement Jordan de la Cour suprême plafonnant la durée des procédures, ont semé la controvers­e. Cinq causes pour meurtre, dont trois au Québec, ont été abandonnée­s pour ces raisons.

L’une des recommanda­tions des sénateurs invite les juges à ne plus accorder automatiqu­ement les demandes — très fréquentes — d’ajournemen­t des procédures qui ralentisse­nt tout. Le sénateur Pierre-Hugues Boisvenu a donné l’exemple d’une cause de viol à Saint-Jérôme «remise 37 fois» ! La durée médiane des causes a été de 121 jours en 2014-2015, et ce, pour un nombre médian de passages devant un juge d’à peine cinq. «Les juges devraient faire preuve de prudence à l’égard des demandes libellées de manière générique et devraient insister pour recevoir des faits et des arguments détaillés avant d’accorder des ajournemen­ts », peut-on lire dans le rapport. Le Sénat suggère aussi de s’inspirer du Palais de justice de Calgary, où un «bureau de gestion des dossiers» a été instauré. Les accusés s’y présentent pour les comparutio­ns de routine, et même pour répondre à l’accusation, évitant du coup aux juges de présider à ces procédures statutaire­s.

Autre propositio­n des sénateurs: que l’arrêt des procédures ne soit plus la seule solution envisagée lorsque les délais maximaux imposés par la Cour suprême sont dépassés. Une réduction de peine en cas de culpabilit­é ou une compensati­on financière en cas d’acquitteme­nt devraient être considérée­s.

Troquer les barreaux pour les amendes

Le Sénat invite aussi les gouverneme­nts à remettre en question le recours à la justice criminelle pour certains délits, comme l’alcool au volant. En 2014-2015, un peu plus de 33 000 causes de conduite avec facultés affaiblies se sont rendues devant un juge, soit 10 % de toutes les causes au pays.

Le Sénat propose de s’inspirer de la Colombie-Britanniqu­e, où on a mis en place en 2010 un régime de sanctions presque uniquement réglementa­ire. Un conducteur pincé en état d’ébriété reçoit une amende, voit son permis de conduire suspendu et son véhicule envoyé à la fourrière. Ce programme a permis de réduire d’environ 7300 le nombre de cas portés devant les tribunaux. Le Sénat admet que cette mesure pourrait ne pas faire l’unanimité, citant des témoins qui se sont demandé « s’il était dans l’intérêt public de donner l’équivalent d’une contravent­ion pour excès de vitesse à une personne qui a conduit avec les facultés affaiblies».

Enfin, le comité sénatorial propose de revoir le processus de nomination des juges pour que celui-ci s’engage en amont de leur départ à la retraite.

La réduction des délais dans le système de justice fait l’objet de nombreux débats depuis l’arrêt Jordan, l’été dernier. La Cour suprême revisitera même le sujet vendredi, alors qu’elle tranchera l’affaire Cody, qui précisera la façon d’appliquer l’arrêt Jordan dans des causes entamées avant que celui-ci n’ait été prononcé. Les ministres de la Justice du pays ont demandé à leurs fonctionna­ires en avril dernier de travailler sur certaines pistes de solution, dont certaines proposées par le Sénat. Ils doivent faire rapport cet automne.

L’alcool au volant pourrait n’être qu’une infraction réglementa­ire

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