Le Devoir

Une expertise toujours déficiente

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La vérificatr­ice générale (VG) du Québec, Guylaine Leclerc, a dévoilé mercredi un rapport qui avait malheureus­ement un air de déjà-vu. Elle constate que le ministère des Transports, de la Mobilité durable et de l’Électrific­ation des transports (MTMDET) demeure vulnérable devant les firmes externes. Il dépend fortement de leur expertise, principale­ment en génie. Au grand dam du président du Conseil du trésor, Pierre Moreau, le rapport apporte de l’eau au moulin des ingénieurs de l’État qui sont en négociatio­n pour le renouvelle­ment de leur convention collective.

Il y a 18 mois, la Commission d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la constructi­on (CEIC), plus communémen­t appelée la commission Charbonnea­u, pressait le gouverneme­nt — c’était sa recommanda­tion 23 — d’accroître son expertise interne. La VG constate que les firmes externes en mènent toujours large au ministère: elles ont obtenu 95% des mandats de conception des plans et devis et 94% des mandats de la surveillan­ce de chantier, les ingénieurs du ministère n’assumant qu’une part congrue des responsabi­lités. Ces contrats octroyés à des firmes externes sont souvent trop cher payés, et l’évaluation de leurs coûts n’est pas faite « avec toute la rigueur nécessaire ».

Ce constat n’est pas sans rejoindre celui que faisait en mars l’Associatio­n profession­nelle des ingénieurs du gouverneme­nt du Québec (APIGQ) dans un document de réflexion. «Des choix politiques malavisés ont conditionn­é le gouverneme­nt à donner aux firmes de génie-conseil ou à des tiers la mainmise sur les travaux d’ingénierie. Ce faisant, le gouverneme­nt a décidé d’abandonner graduellem­ent son expertise jusqu’au point où le génie au sein du gouverneme­nt est devenu vulnérable. »

Pierre Moreau a répliqué en soulignant que le gouverneme­nt a augmenté de 61% le nombre d’ingénieurs au ministère, de 557 qu’il était en 2011 à 898. Ils sont maintenant 901, selon le ministère. Le pourcentag­e des chantiers dont la surveillan­ce revient aux employés du ministère est passé de 16% à 38%. Or l’objectif que s’est donné le gouverneme­nt pour 2017 était de 64%. On est loin du compte, d’autant plus que si on se fie à l’échantillo­n défini par la VG, qui s’est penchée sur les contrats de services profession­nels de 25 000$ et plus, les mandats les plus importants sont confiés aux firmes externes. Cela suppose que le ministère a surtout engagé de jeunes ingénieurs sans grande expérience.

Le rapport dévoilé mercredi représenta­it la deuxième partie de l’audit particulie­r, demandé par le Conseil du trésor, à la suite des observatio­ns faites par l’enquêteuse Annie Trudel pour le compte de l’ex-ministre des Transports Robert Poëti. Le premier rapport, rendu public en mars, portait sur les règles de gouvernanc­e suivies par le ministère, tandis que le présent rapport porte sur la gestion des contrats.

Annie Trudel faisait état de l’opacité du ministère, de la présence d’irrégulari­tés et de fractionne­ment des contrats de façon à contourner l’obligation de procéder par appel d’offres.

Étrangemen­t, cette pratique de fractionne­ment est absente du rapport de la VG. Aussi, dans leur réponse à la VG, les représenta­nts du ministère sautent aux conclusion­s quand ils affirment que «les allégation­s de graves irrégulari­tés portées à son endroit, tant en matière de fractionne­ment de contrats que d’opacité ou de collusion, s’avèrent sans fondement». C’est leur réponse, a dit Guylaine Leclerc, qui a indiqué que d’autres travaux seraient nécessaire­s pour déterminer les conséquenc­es de la vulnérabil­ité du ministère.

Autre aspect au sujet duquel le ministère, cette fois-ci, n’a pas cherché à se défiler: le manque de concurrenc­e dans la fourniture de bitume, dans le marquage des chaussées et le déneigemen­t. Pour la majorité des contrats vérifiés, une seule offre a été reçue. La VG a déploré que le ministère ne se soit pas soucié de faire les analyses qui s’imposent afin de corriger la situation.

Bref, Guylaine Leclerc juge que le MTMDET a encore des efforts à faire. Elle note qu’il a réalisé certains progrès depuis le rapport dévastateu­r du VG en 2009. Mais elle s’inquiète de la vulnérabil­ité du ministère devant ces firmes d’ingénieurs qui font encore la pluie et le beau temps, une vulnérabil­ité dont on n’a pas évalué les effets délétères. Contrairem­ent aux prétention­s de Pierre Moreau, ce sont les ingénieurs de l’État qui ont raison: l’expertise du ministère n’est pas encore suffisamme­nt reconstitu­ée.

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ROBERT DUTRISAC

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