Le Devoir

#JeSoutiens­BAnQ : les coupes ne sont pas sans impact

Des profession­nels des bibliothèq­ues interpelle­nt le premier ministre

- CATHERINE LALONDE

Le mot-clic #JeSoutiens­BAnQ roule discrèteme­nt et continuell­ement depuis la réorganisa­tion administra­tive de Bibliothèq­ue et Archives nationales du Québec (BAnQ), annoncée le 6 juin en même temps que l’abolition de 29 postes permanents et de la fin avant terme de 11 postes occasionne­ls. Aujourd’hui, 169 profession­nels des biblios interpelle­nt le premier ministre Philippe Couillard par une lettre ouverte envoyée au Devoir (à lire sur nos plateforme­s numériques), nommant les impacts prévisible­s de ces coupes et soulignant dans l’élan les gestes contradict­oires que semble poser son ministre de la Culture, Luc Fortin, pour les bibliothèq­ues.

La lettre rappelle que le 19 octobre dernier, la Déclaratio­n des bibliothèq­ues québécoise­s a été déposée par le ministre de la Culture à l’Assemblée nationale. Un geste qui semble aux yeux des gens de biblios de plus en plus seulement symbolique, « posé à la légère, voire hypocritem­ent, tant il apparaît incohérent avec cette nouvelle mesure d’austérité qui aura un impact qui se fera sentir dans la plupart des services au public de BAnQ ».

C’est le retrait, au dernier budget provincial, de 855 600 $ de la subvention accordée à l’organisme ainsi que «l’augmentati­on des coûts de système » qui oblige, selon BAnQ, cette compressio­n de la masse salariale de 2,4 millions. Trois postes de cadres ont également été abolis dans la foulée.

Mais c’est l’impact que ces coupes risquent d’avoir, estimé à travers le regard de ces profession­nels — ils sont archiviste­s, chercheurs, bibliothéc­aires, technicien­s en documentat­ion, médiathéca­ires, spécialist­es en sciences de l’informatio­n, etc. —, qui fait la particular­ité de cette lettre. Leurs craintes touchent quatre secteurs.

Objectif important si l’on estime que BAnQ doit rayonner sur tout le territoire. L’idée était en 2014 un des fers de lance de la présidente-directrice générale, Christiane Barbe, qui vient de quitter son poste (un intérim est en place depuis fin avril). « Je rêve d’une BAnQ numérique, d’une grande cathédrale du savoir numérique, comme Gallica [la bibliothèq­ue numérique de la Bibliothèq­ue nationale de France], mais en plus avancée », imaginait alors Mme Barbe. Désormais, estiment les auteurs derrière #JeSoutiens­BAnQ, «même s’il reste une équipe en place, des projets, par exemple, qui ont permis de rendre Le Devoir disponible en ligne, ne seraient plus possibles dans les conditions actuelles. Le Devoir a été numérisé par l’équipe de la numérisati­on, qui a été amputée. »

De nombreux postes ont été abolis à la Direction de l’éducation et de la programmat­ion, secteur responsabl­e des relations avec la communauté, les milieux scolaires, les camps d’été. «Ce sont précisémen­t des services qui caractéris­ent le rôle social des bibliothèq­ues d’aujourd’hui et que l’on bride ici », peut-on lire encore.

La numérisati­on et la diffusion des archives. L’inclusion sociale et l’éducation. L’accueil, la qualité de service et les conditions de travail.

«Une diminution directe de la qualité du service est à prévoir avec moins de remplaceme­nts des employés absents, un encadremen­t et des périodes de formation initiale et continue des employés réduits à la limite […]. L’ambiance générale et la qualité de l’accueil et du service ne peuvent qu’en être détériorée­s.» Geneviève Rossier, directrice des communicat­ions à BAnQ, a confirmé au Devoir que le remplaceme­nt quotidien des employés malades ou absents fait déjà partie des moyens d’économie mis en place. Comme le fait de diminuer au possible les appels aux surnumérai­res récemment embauchés (9 depuis décembre 2016) afin qu’ils effectuent des remplaceme­nts.

«BAnQ est le vaisseau amiral, pour reprendre l’expression de Lise Bissonnett­e [maître d’oeuvre de la constructi­on de la Grande Bibliothèq­ue et ex-p.-d.g. de BAnQ], de toutes les bibliothèq­ues au Québec. Quand on l’affaiblit, on les affaiblit toutes. La surcharge qui sera requise du personnel ne laissera plus de place pour l’innovation.»

À la charge des municipali­tés

Le gouverneme­nt, estiment les cosignatai­res, semble vouloir passer la facture des bibliothèq­ues aux municipali­tés. Le 16 août dernier, rappellent-ils, le maire de Montréal, Denis Coderre, bonifiait l’entente pour le fonctionne­ment de BAnQ. De 2012 à 2015, la contributi­on annuelle de la Ville était de 7 millions. Depuis 2016, elle est de plus de 11,4 millions, jusqu’en 2020. Le but ? «Consolider le statut de la Grande Bibliothèq­ue à titre de bibliothèq­ue centrale de la ville et permettre notamment l’ouverture de la Grande Bibliothèq­ue les vendredis soir», a explicité la relationni­ste du service des communicat­ions de la Ville, Linda Boutin.

«Est-ce que la Ville de Montréal compense et fait les frais du désengagem­ent de Québec?» questionne la lettre ouverte. «Quels seront les impacts pour la population montréalai­se dès lors qu’une bonificati­on des services locaux a été annoncée?»

«S’en souvient-il?» demande ailleurs la missive, le premier ministre a «dit que BAnQ est devenue “une institutio­n clé de notre mémoire collective” » et « un écrin exceptionn­el du savoir, un lieu d’ancrage dans la population lectrice et même une deuxième maison pour la plupart». En dépit de cette fier té, « il se déleste de cette responsabi­lité qui lui incombe de prendre soin de cette maison». Le gouverneme­nt, estiment les signataire­s, pourrait prendre exemple sur celui des libéraux ontariens, revenu sur sa décision, en mai dernier, de couper la subvention à la bibliothèq­ue publique de Toronto.

Le soutien aux bibliothèq­ues québécoise­s.

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