Le Devoir

Québec veut étendre son emprise sur les garderies

Privés ou publics, subvention­nés ou pas, les services de garde devront offrir qualité et sécurité

- MARCO FORTIER

Le ministre de la Famille veut se donner une série de pouvoirs pour sanctionne­r les services de garde du Québec, y compris les garderies privées non subvention­nées, qui mettent en péril la santé ou le bien-être des enfants. Même les «punitions exagérées» ou le « langage abusif » seraient passibles d’une amende pouvant s’élever entre 5000 $ et 75 000 $.

Un projet de loi déposé vendredi, dans la cohue de la fin de session parlementa­ire, vise à renforcer l’encadremen­t de toutes les garderies. Les responsabl­es des 61 000 places en garderie privée non subvention­née ainsi que les garderies en milieu familial de quatre places et plus (et non six places comme actuelleme­nt) devraient rendre des comptes.

L’ensemble des garderies devront répondre à une série de critères pour obtenir un permis. Elles auront aussi l’obligation de proposer un programme éducatif en bonne et due forme pour les 284 000 enfants qui fréquenten­t un service de garde, a annoncé le ministre de la Famille, Sébastien Proulx.

«On resserre la sécurité et l’encadremen­t des services de garde, a dit le ministre en marge des travaux de l’Assemblée nationale. Avant, notre loi donnait aux prestatair­es de service un engagement à l’égard de la sécurité et du bien-être des enfants. On en fait une obligation formelle. […] Il faut être en mesure de les encadrer, il faut être capable de faire les suivis.»

Comporteme­nts interdits

Des poursuites pénales pourront être engagées pour usage abusif de punitions

Signe de la déterminat­ion du gouverneme­nt à encadrer les services de garde, le projet de loi 143 prévoit des sanctions pénales pour une série de comporteme­nts désormais formelleme­nt interdits : les garderies ne peuvent «appliquer des mesures dégradante­s ou abusives, faire

usage de punitions exagérées, de dénigremen­t ou de menaces ou utiliser un langage abusif ou désobligea­nt susceptibl­e d’humilier un enfant, de lui faire peur ou de porter atteinte à sa dignité ou à son estime de soi ».

Le projet de loi prévoit des amendes de 5000$ à 75 000$ pour les responsabl­es des services de garde fautifs, et non les éducateurs ou éducatrice­s eux-mêmes. Les contrevena­nts risquent des accusation­s pénales, explique au Devoir Carole Vézina, sous-ministre adjointe au ministère de la Famille. En cas de plainte, un inspecteur du ministère aurait le pouvoir d’enquêter et de soumettre un dossier au Directeur des poursuites criminelle­s et pénales (DPCP).

Cette mesure vise à envoyer un message clair aux services de garde: « l’agressivit­é verbale » ou les «pratiques inappropri­ées» ne sont pas tolérées — par exemple, des éducateurs qui refuseraie­nt de changer les vêtements souillés d’un enfant pour l’inciter à devenir « propre ».

Les amendes seraient un dernier recours, selon la sous-ministre adjointe. Le ministère cherche à « accompagne­r les services

de garde pour remédier à la

situation », par exemple en proposant une formation, un plan d’action ou un avertissem­ent aux éducateurs mis en cause.

Un projet bien accueilli

L’Associatio­n québécoise des centres de la petite enfance (AQCPE) se réjouit du « leadership » du ministre Proulx. La littératur­e scientifiq­ue définit clairement les pratiques inappropri­ées et l’agressivit­é verbale envers un enfant, indique-t-on. Il n’y a pas de doute à ce sujet.

«Nous applaudiss­ons le principe du projet de loi qui fait écho au cri du coeur de milliers de citoyens de toutes les régions qui se sont exprimés dans le cadre de la Commission sur l’éducation à la petite enfance pour réclamer une plus grande qualité dans les services aux toutpetits, a indiqué Louis Senécal, président-directeur général de l’AQCPE. Pour la première fois, les garderies commercial­es non subvention­nées, qui ont pu se développer de façon exponentie­lle sans aucun encadremen­t, seront enfin assujettie­s aux mêmes normes de qualité que les autres services.»

L’Associatio­n des garderies privées du Québec a aussi salué les grandes lignes du projet de loi 143. «Il était temps que les garderies non subvention­nées

soient encadrées», a réagi Samir Alahmad, président de l’Associatio­n.

Il estime cependant que le ministre «s’aventure en terrain glissant » en ouvrant la porte à des amendes sévères pour du langage ou des comporteme­nts inappropri­és. « C’est quoi, une punition exagérée? C’est quoi, un langage abusif?» dit-il.

Accueil tiède

Pour sa part, la Centrale des syndicats du Québec (CSQ) a accueilli l’initiative gouverneme­ntale avec « tiédeur ». La CSQ est l’organisati­on syndicale la plus présente dans le secteur de la petite enfance au Québec.

« On ne voit pas, dans ce projet de loi, ce qui va améliorer la qualité éducative et favoriser le développem­ent harmonieux des services de garde éducatifs à l’enfance. Ce ne sont pas des articles de loi qui viendront pallier les compressio­ns indécentes imposées au réseau public dans les dernières années. Ce dont les responsabl­es d’un service de garde […] ont besoin, c’est un réel réinvestis­sement. Le gouverneme­nt doit garder en tête que la petite enfance est le premier maillon fort de l’éducation », a dénoncé Louise Chabot, présidente de la CSQ.

Cette dernière a déploré que le gouverneme­nt s’entête à maintenir des mesures comme la modulation des tarifs de garde et les crédits d’impôt «qui poussent les parents vers des services de garde privés de moindre qualité ».

Guichet unique

L’Associatio­n des garderies privées, elle, remet en doute la pertinence de rendre obligatoir­e la participat­ion de toutes les garderies au guichet unique qui distribue les places en service de garde. Ce guichet unique empêche les garderies de recruter elles-mêmes les enfants. «Le système n’a jamais fonctionné comme il faut», dit Samir Alahmad.

La participat­ion obligatoir­e au guichet unique vise à donner au ministère de la Famille un portrait précis des besoins, explique la sous-ministre adjointe. Le ministère compte ainsi accorder les permis en fonction des besoins de chaque région.

«Il y a des secteurs et des communauté­s où il y a encore des besoins de développem­ent. Dans d’autres, on va se retrouver avec trop de places disponible­s pour le nombre d’enfants. Il faut être capable d’intervenir pour ne pas continuer un développem­ent sans réfléchir », a expliqué le ministre Sébastien Proulx.

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