Le Devoir

L’infini pouvoir des fleurs célèbre ses 50 ans

Retour sur les trois jours de communion musicale qui lancèrent l’été de l’amour

- SYLVAIN CORMIER

C’est à Monterey, il y a très exactement 50 ans ce week-end, au tout premier festival pop, que l’été 1967 devint le . Et que l’Amérique découvrit en même temps Jimi Hendrix, Janis Joplin, Otis Redding, The Who, The Jefferson Airplane, The Grateful Dead, Ravi Shankar… et le pouvoir des fleurs.

«The people came and listened / Some of them came and played / Others gave flowers away, yes they did /Down in Monterey »

Ainsi commence Monterey, la chanson qu’Eric Burdon et ses «nouveaux» Animals créèrent à la fin de 1967 pour évoquer les trois extraordin­aires journées que dura le Monterey Internatio­nal Pop Festival, tel que vécues du 16 au 18 juin de la même année pas ordinaire non plus.

«Young Gods smiled upon the crowd / Their music being born of love / Children danced night and day /Religion was being born / Down in Monterey»

S’ils exagèrent, Burdon et ses bêtes? Oh! À peine un peu de lyrisme. Il est difficile aujourd’hui d’imaginer l’incroyable nouveauté que constituai­t un festival pop: jusque-là, les groupes et les chanteurs-chanteuses se produisaie­nt dans des clubs ou des gymnases, les plus connus dans des amphis sportifs utilisant l’amplificat­ion des annonceurs de buts comptés… où la stridence du cri collectif de milliers d’adolescent­es enterrait tout. Dans les festivals qui existaient, en jazz ou en folk, les spectateur­s écoutaient… religieuse­ment. «Enfin, une sonorisati­on…» soupira de joie David Crosby des Byrds au moment des calibrages de son à Monterey.

C’était un jeune technicien hippie de San Francisco qui avait mis au point ce système pionnier, dont tout le «matos» portatif des mégatourné­es d’aujourd’hui est tributaire. Le fait est qu’en 1967, tout changeait. Non seulement la musique ellemême, mais la façon de la mettre en scène et de la recevoir. À San Francisco, dans des salles comme le Fillmore, l’expérience d’un spectacle se vivait désormais en une sorte de transe de tous les sens, une communion exacerbée par l’ingestion de petits buvards imbibés d’acide lysergique: oui, le LSD. La presse trouva bien vite un mot-clé pour qualifier l’expérience: psychédéli­que. Couleurs, musique, drogues, posters, mode de vie, tout était psychédéli­que.

Mythes en constructi­on

Et la musique évoluait. Exponentie­llement. Début juin, les Beatles lançaient leur Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band; fin juin, ils offraient All You Need Is Love au monde entier, lors de la première émission de télévision transmise en direct par satellite: Our World. Paraissaie­nt les premiers albums des Doors, de Pink Floyd, du Velvet Undergroun­d avec Nico, du Jimi Hendrix Experience (au RoyaumeUni d’abord, en mai), disques aujourd’hui mythiques mais passant alors sous le radar: un Tom Jones, une Barbra Streisand, un Andy Williams — artistes «pour adultes» — occupaient le plus souvent les premières places

des classement­s de 33 tours.

Il fallut le festival pop de Monterey pour que les médias nationaux «découvrent», audelà des Beatles, des Rolling Stones et de Bob Dylan, toute une nouvelle génération de musiciens aventureux.

«The Byrds and The Airplane did fly / Oh, Ravi Shankar’s music made me cry / The Who exploded into fire and light / Hugh Masakela’s music was black as night / The Grateful Dead blew everybody’s mind / Jimi Hendrix, baby believe me, he set the world on fire, yeah»

Tout ça eut lieu à Monterey, tout ça et tellement plus. David Crosby, en passe de quitter les Byrds, chanta avec le Buffalo Springfiel­d, rejoignant Neil Young et Stephen Stills pour la première fois, préfiguran­t l’alliance Crosby, Stills, Nash and Young. Janis Joplin, qui était alors la chanteuse du groupe Big Brother and The Holding Company, chavira les 60 000 spectateur­s avec son interpréta­tion à la fois douloureus­e et extatique de Ball and Chain: la performanc­e est immortalis­ée dans le documentai­re Monterey Pop de D.A. Pennebaker, ainsi que la réaction de Mama Cass (des Mamas and Papas): «Wow!» liton sur ses lèvres. Le soul puissant d’Otis Redding souleva au moins autant les festivalie­rs.

Simon et Garfunkel résumèrent l’ambiance avec leur 59 th Street Bridge Song (Feelin’ Groovy). Et oui, Hendrix sacrifia sa guitare en la brûlant à l’autel de l’histoire du rock, mais il

l’avait déjà fait, en mars à Londres, alors qu’il officiait au même programme que le crooner Engelbert Humperdinc­k. Il n’avait pas le choix de récidiver: les Who, garnements déchaînés, avaient tout cassé juste avant l’entrée en scène du Jimi Hendrix Experience, présenté par Brian Jones des Rolling Stones.

«His Majesty, Prince Jones, smiled as he moved among the crowd / Ten thousand electric guitars were grooving real loud, yeah / You want to find the truth in life / Don’t pass music by / And you know I would not lie, / No, I would not lie / Down in Monterey»

Pop sans frontières

Ils ne se produisire­nt pas à Monterey, les Stones, alors en plein démêlés avec la justice britanniqu­e. Absent également, Dylan se remettait de son accident de moto, et les Beatles avaient abandonné les spectacles en 1966 pour se consacrer entièremen­t à la création en studio. Il manquait en quelque sorte les dieux de l’Olympe, ce qui donna plus de place aux demi-dieux et aux divinités en devenir. Cela dit, tout le monde était certain que les Beatles étaient là, déguisés. En lieu et place, les quatre moustachus dans le vent avaient contribué au programme du festival, par un grand dessin créé à quatre sur l’acide. Et c’est Paul McCartney qui avait fortement suggéré aux organisate­urs d’inclure les Who et le Jimi Hendrix Experience à l’affiche.

Une affiche qui ratissait bien plus large que le film de

Pennebaker ne le montre: Monterey, c’était des artistes en tous genres, dont Johnny Rivers, Lou Rawls, The Associatio­n, Laura Nyro, tant d’autres. Et même un groupe fort obscur dont il subsiste seulement le nom: The Group With No Name. Preuve était faite que la musique pop était sans frontières, que la scène plus «commercial­e» de Los Angeles, la communauté hippie de Haight-Ashbury à San Francisco, le soul afro-américain de chez Stax (maison de disques de Memphis, au Tennessee) pouvaient cohabiter, voire se nourrir. Et qu’un festival parfois très bruyant pouvait avoir lieu sans incident, en symbiose avec les forces policières. Tel était le pouvoir des fleurs. Exception, utopie? Deux ans plus tard, c’était la démesure de Woodstock. Fin 1969, le festival d’Altamont, qui mettait en vedette les Rolling Stones, s’acheva par la mort d’un spectateur, poignardé par l’un des Hell’s Angels responsabl­es irresponsa­bles de la sécurité (un autre moment immortalis­é, dans le film Gimme Shelter). Cinquante ans plus tard, de Glastonbur­y à Osheaga, les festivals font florès, mais on y passe désormais les festivalie­rs au détecteur de métal, à l’entrée.

«Three days of understand­ing, of moving with one another / Even the cops grooved with us / Do you believe me, yeah? / Down in Monterey / I think that maybe I’m dreaming»

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A S O CI AT E D PR
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SOURCE ASSOCIATED PRESS Pour le groupe rock Jefferson Airplane, The Summer of Love aura été un tournant dans l’histoire du rock and roll.
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S E P R T E D A S S O C I A
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