Moscou-sur-Potomac
Tout ce qu’il faut savoir, ou presque, sur l’ingérence russe dans l’élection présidentielle états-unienne
Il y a un an exactement cette semaine, le mardi 14 juin 2016, le Comité national démocrate affirmait que des pirates informatiques travaillant pour le gouvernement russe avaient pénétré ses serveurs pour y piller une masse de documents, dont un rapport sur le candidat républicain Donald Trump.
Ce vol, comme celui du Watergate 44 ans auparavant, allait déclencher un tsunami politique qui frappe et ébranle toujours plus profondément le pays-continent.
Jeudi, le Washington Post révélait que le procureur spécial Robert Mueller, enquêtant sur l’affaire russe, s’intéressait désormais à de possibles entraves à la justice du président des États-Unis. Si elles s’avèrent, ces accusations pourraient fournir des éléments nécessaires pour déclencher une procédure de destitution.
Le lendemain, vendredi, contre l’avis de ses conseillers et procureurs, Donald Trump utilisait à nouveau son compte Twitter pour dénoncer une «chasse aux sorcières» de la part des «faux médias».
Que s’est-il passé entre ces deux bouts? Et qu’arrivera-t-il ensuite ? Bilan et prospective.
Le piratage. Les organisations des candidats Obama et McCain ont aussi été piratées pendant la campagne présidentielle de 2008. « La seule chose intéressante, cette fois, c’est que les hackers ont été pris », résumait la firme de sécurité informatique Matasano dès le 14 juin 2016. En fait, non. Les fichiers démocrates ont été transférés à la plateforme WikiLeaks, qui diffusa 19 252 courriels et des centaines de pièces jointes le 22 juillet.
Des échanges entre les dirigeants du Parti démocrate laissent clairement deviner leur biais en faveur de la candidate Hillary Clinton contre son adversaire plus à gauche Bernie Sanders. Une seconde coulée suit en novembre avec 8263 courriels.
Les fuites poussent à la démission la présidente du parti et son directeur des communications. Le 25 juillet, le FBI ouvre une enquête sur le piratage.
Le lendemain, The New York Times publie un article affirmant que les services de renseignement américains partagent largement l’avis que les Russes sont à la source du coulage. En décembre 2016, une fois les élections terminées, selon un scoop du Washington Post, la CIA confirme aussi la responsabilité russe, en ajoutant qu’elle avait pour but d’éviter l’élection d’Hillary Clinton.
Les liens. En témoignant devant le Sénat cette semaine, le procureur général, Jess Sessions, a dit croire que les Russes sont intervenus pendant la campagne présidentielle. En même temps, même s’il a lui-même rencontré l’ambassadeur russe à Moscou à deux reprises pendant la dernière campagne, le ministre a fermement nié avoir été mêlé à cette ingérence et a qualifié ces rapprochements de « mensonges détestables ».
Les rencontres russes l’ont tout de même forcé à se récuser par rapport à toute enquête sur l’affaire. Dans son propre témoignage devant le Comité du renseignement, il y a deux semaines, l’ex-directeur du FBI, James Comey, a confirmé le déclenchement de l’enquête de juillet 2016 et a établi un lien avec l’entourage du candidat Trump. « Cela inclut des investigations sur la nature des liens entre des individus liés à l’équipe de campagne de Donald Trump et le gouvernement russe, et, pour terminer, s’il y a eu coordination entre la campagne et les efforts russes », a-t-il dit.
Le cercle. La liste des relations russes ambiguës (mais pas nécessairement comploteuses) comprend au moins une douzaine de personnages influents autour de Donald Trump, d’abord candidat puis président. On y retrouve Paul Manafort, ancien directeur de campagne de Trump, qui a empoché des dizaines de millions entre 2006 et 2009 pour son travail auprès d’un allié du président Vladimir Poutine. Il y a aussi Rex Tillerson, secrétaire d’État et ancien patron d’ExxonMobil, très actif en Russie.
L’ancien sénateur Jeff Sessions, maintenant procureur général, a eu au moins deux rencontres avec l’ambassadeur russe à Washington. Il les avait cachées. Jared Kushner, gendre et conseiller du président, a aussi rencontré l’ambassadeur entre le jour de l’élection et celui de l’investiture.
Le lieutenant général Michael Flynn, ancien conseiller à la sécurité, a dû démissionner parce qu’il avait accompagné M. Kushner à l’un de ces rendez-vous.
Les liens entre Donald Trump et la Russie ne semblent pas nets non plus. Il n’a pas détaillé ses revenus, mais il s’intéressait beaucoup à l’immobilier russe avant de se lancer en campagne. Moscou a accueilli un concours de Miss Univers quand il lui appartenait.
Un rapport commandé à un ancien espion britannique, déposé en décembre, parle d’informations « compromettantes » détenues par la Russie sur Trump.
Les enquêtes. L’affaire russe occupe maintenant quatre instances.
1. La police fédérale (le FBI) poursuit l’enquête lancée en juillet 2016 sous l’ancien patron Comey, congédié le 9 mai. Le sort de ce travail dépendra du nouveau directeur, Christopher A. Wray.
2. Le Sénat a déclenché ses propres investigations par l’entremise de certaines commissions. La plus active, celle sur le renseignement, a déjà reçu plusieurs témoins centraux, dont l’ex-patron du FBI.
3. La Chambre des représentants a connu des ratés avec ses propres démarches. Le président de sa Commission du renseignement, Devin G. Nunes, s’est récusé parce qu’il tentait de détourner l’attention vers les accusations d’écoute électronique, présumée et jamais prouvée, du candidat Trump par l’ex-président Obama.
4. Le procureur Robert Mueller a été choisi, le 17 mai, par le ministère de la Justice pour superviser une enquête spéciale sur l’affaire russe. Elle concerne les tentatives d’ingérence russe dans la campagne présidentielle de 2016 et une éventuelle collusion entre des membres de l’équipe de campagne de Donald Trump et la Russie. Elle s’étend maintenant à une possibilité d’entrave à la justice du président.
Le pillage de documents, comme celui du Watergate 44 ans auparavant, allait déclencher un tsunami politique qui frappe et ébranle toujours plus profondément le pays-continent
L’obstruction. Le président affirme que l’affaire russe n’est qu’un prétexte démocrate bidon pour expliquer leur défaite. Il tirait fierté de ne pas lui-même faire l’objet d’une enquête. Il a reconnu vendredi que ce n’est plus le cas.
Le procureur Mueller veut interroger à son sujet trois responsables du gouvernement qui n’ont pas été impliqués dans la campagne présidentielle, tous trois liés au secteur du renseignement.
L’ancien dirigeant du FBI, James Comey, a affirmé le 8 mai, devant le Sénat, qu’il avait subi des pressions du président pour abandonner l’enquête sur l’ancien conseiller de la MaisonBlanche Michael Flynn.
Il a précisé avoir pris des notes sur ses entretiens en tête-à-tête avec Donald Trump. Par contre, M. Comey a dit ne pas croire à l’implication du président dans une éventuelle collusion avec la Russie.
La destitution. L’obstruction à la justice serait un motif de destitution. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’un processus de destitution a été déclenché contre le président Bill Clinton. Il a échoué en février 1999.
Toutefois, si le président Trump est reconnu responsable d’une tentative d’entrave à la justice, il faudra beaucoup de volonté et de pouvoir politique pour arriver à le faire tomber. Le processus nécessite une nouvelle enquête, puis le vote des deux chambres. Il faut même une majorité des deux tiers au Sénat.