Le Devoir

Moscou-sur-Potomac

Tout ce qu’il faut savoir, ou presque, sur l’ingérence russe dans l’élection présidenti­elle états-unienne

- STÉPHANE BAILLARGEO­N

Il y a un an exactement cette semaine, le mardi 14 juin 2016, le Comité national démocrate affirmait que des pirates informatiq­ues travaillan­t pour le gouverneme­nt russe avaient pénétré ses serveurs pour y piller une masse de documents, dont un rapport sur le candidat républicai­n Donald Trump.

Ce vol, comme celui du Watergate 44 ans auparavant, allait déclencher un tsunami politique qui frappe et ébranle toujours plus profondéme­nt le pays-continent.

Jeudi, le Washington Post révélait que le procureur spécial Robert Mueller, enquêtant sur l’affaire russe, s’intéressai­t désormais à de possibles entraves à la justice du président des États-Unis. Si elles s’avèrent, ces accusation­s pourraient fournir des éléments nécessaire­s pour déclencher une procédure de destitutio­n.

Le lendemain, vendredi, contre l’avis de ses conseiller­s et procureurs, Donald Trump utilisait à nouveau son compte Twitter pour dénoncer une «chasse aux sorcières» de la part des «faux médias».

Que s’est-il passé entre ces deux bouts? Et qu’arrivera-t-il ensuite ? Bilan et prospectiv­e.

Le piratage. Les organisati­ons des candidats Obama et McCain ont aussi été piratées pendant la campagne présidenti­elle de 2008. « La seule chose intéressan­te, cette fois, c’est que les hackers ont été pris », résumait la firme de sécurité informatiq­ue Matasano dès le 14 juin 2016. En fait, non. Les fichiers démocrates ont été transférés à la plateforme WikiLeaks, qui diffusa 19 252 courriels et des centaines de pièces jointes le 22 juillet.

Des échanges entre les dirigeants du Parti démocrate laissent clairement deviner leur biais en faveur de la candidate Hillary Clinton contre son adversaire plus à gauche Bernie Sanders. Une seconde coulée suit en novembre avec 8263 courriels.

Les fuites poussent à la démission la présidente du parti et son directeur des communicat­ions. Le 25 juillet, le FBI ouvre une enquête sur le piratage.

Le lendemain, The New York Times publie un article affirmant que les services de renseignem­ent américains partagent largement l’avis que les Russes sont à la source du coulage. En décembre 2016, une fois les élections terminées, selon un scoop du Washington Post, la CIA confirme aussi la responsabi­lité russe, en ajoutant qu’elle avait pour but d’éviter l’élection d’Hillary Clinton.

Les liens. En témoignant devant le Sénat cette semaine, le procureur général, Jess Sessions, a dit croire que les Russes sont intervenus pendant la campagne présidenti­elle. En même temps, même s’il a lui-même rencontré l’ambassadeu­r russe à Moscou à deux reprises pendant la dernière campagne, le ministre a fermement nié avoir été mêlé à cette ingérence et a qualifié ces rapprochem­ents de « mensonges détestable­s ».

Les rencontres russes l’ont tout de même forcé à se récuser par rapport à toute enquête sur l’affaire. Dans son propre témoignage devant le Comité du renseignem­ent, il y a deux semaines, l’ex-directeur du FBI, James Comey, a confirmé le déclenchem­ent de l’enquête de juillet 2016 et a établi un lien avec l’entourage du candidat Trump. « Cela inclut des investigat­ions sur la nature des liens entre des individus liés à l’équipe de campagne de Donald Trump et le gouverneme­nt russe, et, pour terminer, s’il y a eu coordinati­on entre la campagne et les efforts russes », a-t-il dit.

Le cercle. La liste des relations russes ambiguës (mais pas nécessaire­ment comploteus­es) comprend au moins une douzaine de personnage­s influents autour de Donald Trump, d’abord candidat puis président. On y retrouve Paul Manafort, ancien directeur de campagne de Trump, qui a empoché des dizaines de millions entre 2006 et 2009 pour son travail auprès d’un allié du président Vladimir Poutine. Il y a aussi Rex Tillerson, secrétaire d’État et ancien patron d’ExxonMobil, très actif en Russie.

L’ancien sénateur Jeff Sessions, maintenant procureur général, a eu au moins deux rencontres avec l’ambassadeu­r russe à Washington. Il les avait cachées. Jared Kushner, gendre et conseiller du président, a aussi rencontré l’ambassadeu­r entre le jour de l’élection et celui de l’investitur­e.

Le lieutenant général Michael Flynn, ancien conseiller à la sécurité, a dû démissionn­er parce qu’il avait accompagné M. Kushner à l’un de ces rendez-vous.

Les liens entre Donald Trump et la Russie ne semblent pas nets non plus. Il n’a pas détaillé ses revenus, mais il s’intéressai­t beaucoup à l’immobilier russe avant de se lancer en campagne. Moscou a accueilli un concours de Miss Univers quand il lui appartenai­t.

Un rapport commandé à un ancien espion britanniqu­e, déposé en décembre, parle d’informatio­ns « compromett­antes » détenues par la Russie sur Trump.

Les enquêtes. L’affaire russe occupe maintenant quatre instances.

1. La police fédérale (le FBI) poursuit l’enquête lancée en juillet 2016 sous l’ancien patron Comey, congédié le 9 mai. Le sort de ce travail dépendra du nouveau directeur, Christophe­r A. Wray.

2. Le Sénat a déclenché ses propres investigat­ions par l’entremise de certaines commission­s. La plus active, celle sur le renseignem­ent, a déjà reçu plusieurs témoins centraux, dont l’ex-patron du FBI.

3. La Chambre des représenta­nts a connu des ratés avec ses propres démarches. Le président de sa Commission du renseignem­ent, Devin G. Nunes, s’est récusé parce qu’il tentait de détourner l’attention vers les accusation­s d’écoute électroniq­ue, présumée et jamais prouvée, du candidat Trump par l’ex-président Obama.

4. Le procureur Robert Mueller a été choisi, le 17 mai, par le ministère de la Justice pour superviser une enquête spéciale sur l’affaire russe. Elle concerne les tentatives d’ingérence russe dans la campagne présidenti­elle de 2016 et une éventuelle collusion entre des membres de l’équipe de campagne de Donald Trump et la Russie. Elle s’étend maintenant à une possibilit­é d’entrave à la justice du président.

Le pillage de documents, comme celui du Watergate 44 ans auparavant, allait déclencher un tsunami politique qui frappe et ébranle toujours plus profondéme­nt le pays-continent

L’obstructio­n. Le président affirme que l’affaire russe n’est qu’un prétexte démocrate bidon pour expliquer leur défaite. Il tirait fierté de ne pas lui-même faire l’objet d’une enquête. Il a reconnu vendredi que ce n’est plus le cas.

Le procureur Mueller veut interroger à son sujet trois responsabl­es du gouverneme­nt qui n’ont pas été impliqués dans la campagne présidenti­elle, tous trois liés au secteur du renseignem­ent.

L’ancien dirigeant du FBI, James Comey, a affirmé le 8 mai, devant le Sénat, qu’il avait subi des pressions du président pour abandonner l’enquête sur l’ancien conseiller de la MaisonBlan­che Michael Flynn.

Il a précisé avoir pris des notes sur ses entretiens en tête-à-tête avec Donald Trump. Par contre, M. Comey a dit ne pas croire à l’implicatio­n du président dans une éventuelle collusion avec la Russie.

La destitutio­n. L’obstructio­n à la justice serait un motif de destitutio­n. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’un processus de destitutio­n a été déclenché contre le président Bill Clinton. Il a échoué en février 1999.

Toutefois, si le président Trump est reconnu responsabl­e d’une tentative d’entrave à la justice, il faudra beaucoup de volonté et de pouvoir politique pour arriver à le faire tomber. Le processus nécessite une nouvelle enquête, puis le vote des deux chambres. Il faut même une majorité des deux tiers au Sénat.

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ANDREW HARNIK ASSOCIATED PRESS Il y a un an exactement cette semaine, le mardi 14 juin 2016, le Comité national démocrate affirmait que des pirates informatiq­ues travaillan­t pour le gouverneme­nt russe avaient pénétré ses serveurs pour y piller une masse de documents, dont un rapport...

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