Le Devoir

Suspect et mal avisé

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La décision de Donald Trump de freiner le dégel des relations américano-cubaines, amorcé par le président Barack Obama en 2014, est politiquem­ent mal avisée. Sans compter que les changement­s qu’il a annoncés vendredi dans un discours prononcé dans le quartier de Little Havana, à Miami, présentent le genre de problème éthique que plusieurs voyaient venir depuis son entrée à la Maison-Blanche — à savoir que M. Trump se trouvera en l’occurrence à pouvoir se servir de la fonction présidenti­elle pour protéger l’homme d’affaires qu’il demeure et nuire à ses concurrent­s. M. Trump défait beaucoup et construit peu. Le président a fait valoir que les mesures restrictiv­es qu’il annonce — interdicti­on de faire des affaires avec les entreprise­s liées à l’armée cubaine et applicatio­n plus stricte des restrictio­ns sur les voyages vers l’île — s’inscrivent avant tout dans une perspectiv­e de défense des droits de la personne. Cinquante-deux ans de sanctions ont pourtant amplement démontré que l’isolement de Cuba n’a jamais contribué à élargir le champ des libertés de la société cubaine. Bien au contraire, tant la politique américaine a servi de rempart patriotiqu­e au régime castriste et d’excuse pour justifier son échec à améliorer le sort de la population. Encore heureux que M. Trump ne soit pas allé jusqu’à rompre les relations diplomatiq­ues.

Non pas que le réchauffem­ent amorcé il y a deux ans sous Obama ait induit des améliorati­ons radicales. Il représente cependant un investisse­ment dans la conviction que le progrès social et politique de Cuba passe par le rétablisse­ment des ponts. Se pliant aux désirs du microélect­orat anticastri­ste de la Floride, M. Trump en oublie au demeurant que la très grande majorité des Américains estiment le temps venu d’en finir avec la logique d’affronteme­nt.

L’approche est suspecte en ce qui concerne la décision qu’a prise le président d’interdire toute transactio­n financière avec Gaesa, la puissante société d’État contrôlée par les forces armées. Il faut savoir que le congloméra­t Gavieta, bras touristiqu­e de Gaesa, gère un hôtel Sheraton (le Four Points) près de La Havane, premier hôtel américain ouvert à Cuba en près de 60 ans. S’étant engagé, pendant qu’il est à la Maison-Blanche, à ne pas conclure de transactio­ns internatio­nales, M. Trump se trouve donc ici à utiliser la présidence pour faire en sorte que les compétiteu­rs de son empire commercial ne puissent pas non plus faire des affaires à Cuba…

Cela éclaire mieux les raisons pour lesquelles il dénonce avec tant de véhémence les «crimes» et la «brutalité» du régime cubain — alors qu’il fait preuve d’une complaisan­ce abyssale envers les régimes autoritair­es et répressifs qui tiennent le pouvoir en Égypte et en Arabie saoudite.

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GUY TAILLEFER

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