Le Devoir

Vaincre la pauvreté urbaine, un défi pour le XXIe siècle

- ROBERT LETENDRE, NIGEL MARTIN, YVES PÉTILLON, MARIO RENAUD, NICOLE SAINT-MARTIN ET PIERRE VÉRONNEAU Groupe de réflexion sur le développem­ent internatio­nal et la coopératio­n (GREDIC)

Du 19 au 21 juin prochain se tiendra à Montréal le 12e congrès mondial de Métropolis, dont le maire Denis Coderre assume la présidence. Il s’agira d’une occasion de réfléchir aux enjeux globaux avec lesquels les agglomérat­ions urbaines doivent composer. Cette rencontre se tient quelques mois après l’adoption du «Nouvel Agenda urbain» lors de la Conférence des Nations unies de Quito, en octobre 2016.

Dans la deuxième moitié du XXe siècle, notre planète a connu une urbanisati­on accélérée. Plus de 50% de la population mondiale vit maintenant dans des villes. Selon les prévisions, ce sera 60% en 2030 et 70% en 2050. Sur plusieurs continents, notamment en Afrique, l’exode vers les villes a connu une ampleur phénoménal­e. L’extrême pauvreté que l’on trouve dans le monde rural explique en grande partie ce phénomène. Conakry, qui avait 59 000 habitants en 1959, en compte maintenant plus de 3 millions. Kinshasa, la capitale de la RDC, est passée pour sa part de 1 million d’habitants en 1970 à plus de 12 millions.

Les signataire­s de ce texte, anciens directeurs généraux d’ONG de développem­ent internatio­nal, connaissen­t la pauvreté dramatique — pour ne pas dire la misère — que l’on trouve dans les villes de plusieurs pays en développem­ent. Et pour leurs population­s, il ne s’agit pas seulement de pénuries individuel­les, mais bien d’une pauvreté collective: égouts à ciel ouvert, montagnes de déchet, routes décaties, transport collectif inexistant, logements inadéquats, qualité de l’air préoccupan­te, insalubrit­é généralisé­e, services publics déficients, sinon inexistant­s.

À l’égard de cette situation, le Nouvel Agenda urbain constitue une lueur d’espoir en déterminan­t les problèmes auxquels il faut s’attaquer en priorité et offrant des pistes de solution correspond­antes. Trois de ces problèmes retiennent particuliè­rement notre attention: la question de la gouvernanc­e, celle de la fiscalité locale et celle de la participat­ion de la société civile à la gestion des villes.

La gouvernanc­e urbaine

Qu’on le veuille ou non, les villes du monde souffrent énormément à cause du modèle des États-Nations hérité du XlXe siècle et qui ne correspond pas à la réalité de l’urbanisati­on accélérée des 50 dernières années.

Les autorités locales sont souvent définies comme des niveaux de pouvoir «inférieurs» n’ayant pas l’importance des gouverneme­nts nationaux. Historique­ment, ceux-ci ont hérité des pouvoirs les plus substantie­ls ainsi que des champs fiscaux les plus lucratifs, ne laissant aux autorités locales que les miettes tombant de la table du riche. Quant à la démocratie locale, lorsqu’elle existe, elle est souvent considérée comme la ligue mineure de la scène politique.

Au Canada par exemple, ce n’est que récemment

que les gouverneme­nts dits «supérieurs» ont daigné s’intéresser au problème de la dégradatio­n des infrastruc­tures urbaines et qu’ils concèdent un minuscule 1% de la taxe d’accise sur l’essence pour procéder aux réparation­s nécessaire­s. On a bien vu ce que de telles politiques ont donné dans des villes vieillissa­ntes comme Montréal.

Ce qui est vrai dans les pays industrial­isés l’est encore plus dans les pays en voie de développem­ent. Pour sortir les villes de ces pays de leur pauvreté, il est donc urgent de favoriser l’émergence de gouverneme­nts locaux disposant des pouvoirs nécessaire­s pour gérer les affaires urbaines. Les maires ne s’y sont pas trompés en écrivant dans leur déclaratio­n finale à Quito : «Nous saluons l’usage du terme “gouverneme­nts locaux” », entendant par là que l’ordre municipal devrait avoir le même statut constituti­onnel que celui des gouverneme­nts nationaux et infranatio­naux.

La fiscalité locale et les droits fonciers

Par ailleurs, il ne s’agit pas simplement de créer des gouverneme­nts locaux efficaces. Il faut également leur donner les moyens financiers d’agir. Or, dans plusieurs pays en développem­ent, établir une fiscalité locale constitue un défi. S’étant développée­s de façon anarchique, ces immenses agglomérat­ions n’ont pas de cadastre sur une bonne partie de leur territoire donc pas de système de renforceme­nt de la sécurité des droits fonciers. De nombreuses zones n’ont ni noms de rue ni adresses.

Il est donc essentiel que ces villes soient aidées à changer cette situation, ce qui leur permettra de générer des revenus propres tout en mettant fin à l’évasion fiscale qui profite aux plus riches. En outre, l’existence de registres fonciers ouvrirait l’accès au crédit hypothécai­re et, ce faisant, à l’améliorati­on des logements.

La démocratie et la participat­ion de la société civile

Enfin, on ne saurait trop souligner l’importance de la participat­ion civique. Les villes doivent être des lieux de démocratie, d’égalité, de transparen­ce et d’imputabili­té. Comme l’a souvent souligné cette grande dame de l’architectu­re qu’est madame Phyllis Lambert, aménager le territoire sans tenir compte de l’avis des résidents est une erreur. C’est en associant les citoyens et la société civile à l’effort des gouverneme­nts locaux que, comme le souligne le Nouvel Agenda urbain, « […] nous pourrons assurer progressiv­ement le droit à un logement convenable… l’accès universel à l’eau potable et à des installati­ons sanitaires sûres… l’accès pour tous, dans des conditions d’égalité, aux biens publics et à des services de qualité…».

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