Le Devoir

Rémunérati­on des conseiller­s : les banques plaident la prudence

L’abolition des commission­s intégrées pourrait entraîner des conséquenc­es malheureus­es, affirment la Banque Nationale et la CIBC

- FRANÇOIS DESJARDINS

De grandes banques incitent les autorités à bien réfléchir avant d’abolir les commission­s intégrées, ces frais prélevés directemen­t dans les fonds communs des investisse­urs afin de rémunérer les conseiller­s financiers, car un tel geste pourrait entraîner des conséquenc­es « non voulues » à l’égard des petits épargnants.

Voilà un des avis qui ressortent de la consultati­on spéciale de six mois organisée par les Autorités canadienne­s de valeurs mobilières (ACVM), lesquelles n’hésitent pas à décrire cette pratique de rémunérati­on comme un terrain fertile pour les conflits d’intérêts.

Les détracteur­s des commission­s intégrées affirment que cette façon indirecte de rémunérer — au lieu d’une facturatio­n directe payée par chèque lors de la rencontre annuelle, par exemple — pourrait pousser un conseiller à orienter le client vers des fonds plus coûteux même si ceux-ci ne sont pas adaptés à ses besoins.

Alors que les partisans de l’abolition des commission­s font valoir que les investisse­urs n’en ont pas pour leur argent, l’industrie des fonds communs et les conseiller­s répondent qu’une éliminatio­n pure et simple aurait un effet toxique. D’une part, disent-ils, les gens hésiteraie­nt à payer directemen­t pour les services d’un conseiller, ce qui les décourager­ait d’épargner pour la retraite. De l’autre, cette chute de clients réduirait les revenus des conseiller­s et les forcerait à quitter le secteur financier.

Lors du lancement de la consultati­on de six mois, une période plus longue que d’habitude, les ACVM avaient évoqué l’idée qu’«il y a lieu d’envisager une transition vers des mécanismes de rémunérati­on directe dans le cadre desquels l’investisse­ur verse directemen­t au courtier sa rémunérati­on».

«Nous convenons que les commission­s intégrées soulèvent des conflits d’intérêts potentiels et limitent la connaissan­ce des investisse­urs concernant le coût lié à la rémunérati­on des courtiers»,a écrit la Banque Nationale dans son mémoire remis aux ACVM. Cela dit, «certains de ces enjeux ont été résolus grâce à la mise en oeuvre» des nouvelles règles qui encadrent la divulgatio­n des frais sur les relevés. «Il faudrait évaluer le résultat de ces règles avant d’en imposer de nouvelles. »

Le Mouvement Desjardins, qui compte plus d’un demi-million d’investisse­urs dans le réseau des caisses, plaide lui aussi pour la prudence. D’autant plus, dit-il, qu’une abolition augmentera­it «assurément» les coûts liés aux services. Évoquant une «lourdeur administra­tive», il

mentionne notamment «la négociatio­n de la rémunérati­on du courtier par une rémunérati­on directe, la gestion des liquidités pour le paiement des honoraires, la complétion de documents relatifs à l’entente découlant des négociatio­ns, etc. ».

S’il allait de l’avant avec une abolition, le Canada deviendrai­t le cinquième pays à le faire, après les Pays-Bas, le Royaume-Uni, l’Australie et l’Afrique du Sud.

Moyenne des commission­s

L’industrie canadienne des fonds communs affirme que les commission­s intégrées ne sont que de 0,78 % en moyenne

pour les gens disposant de moins de 100 000 $, comparativ­ement à 1,3% pour des comptes à honoraires aux États-Unis. Au bout de dix ans, à un rendement annuel de 5%, cela représente­rait 7000 $.

L’organisme FAIR Canada, qui défend les intérêts des investisse­urs, a eu des propos durs à l’égard des commission­s intégrées. Selon lui, « les Canadiens qui ont acheté des fonds communs comportant ces commission­s n’obtiennent pas du conseil objectif, mais la vente d’un produit sous le couvert du conseil, et ces fonds n’atteignent pas les objectifs». Le public investisse­ur verse chaque année des commission­s de 5 milliards, avance-t-il.

Les moins nantis

La CIBC estime de son côté que l’abolition des commission­s intégrées « pourrait avoir un effet disproport­ionné sur les investisse­urs moins nantis et, surtout, ceux qui font affaire avec un conseiller indépendan­t ». Non seulement n’est-il pas clair que ces gens sont prêts à payer directemen­t pour du conseil, mais «il n’est pas clair non plus qu’ils se dirigeraie­nt vers du conseil en ligne, comme le suggèrent les ACVM ».

L’expression «conseil en ligne» fait référence aux nouveaux joueurs, qui ne facturent qu’une fraction du prix des acteurs traditionn­els car ils investisse­nt l’argent de leurs clients dans des fonds négociés en Bourse, généraleme­nt très peu coûteux. Ces services, orientés notamment vers une clientèle plus jeune et à l’aise avec des interfaces numériques, s’inscrivent dans la mouvance de la fintech, qui attire de plus en plus l’attention des grandes firmes, dont la Financière Power.

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