Rémunération des conseillers : les banques plaident la prudence
L’abolition des commissions intégrées pourrait entraîner des conséquences malheureuses, affirment la Banque Nationale et la CIBC
De grandes banques incitent les autorités à bien réfléchir avant d’abolir les commissions intégrées, ces frais prélevés directement dans les fonds communs des investisseurs afin de rémunérer les conseillers financiers, car un tel geste pourrait entraîner des conséquences « non voulues » à l’égard des petits épargnants.
Voilà un des avis qui ressortent de la consultation spéciale de six mois organisée par les Autorités canadiennes de valeurs mobilières (ACVM), lesquelles n’hésitent pas à décrire cette pratique de rémunération comme un terrain fertile pour les conflits d’intérêts.
Les détracteurs des commissions intégrées affirment que cette façon indirecte de rémunérer — au lieu d’une facturation directe payée par chèque lors de la rencontre annuelle, par exemple — pourrait pousser un conseiller à orienter le client vers des fonds plus coûteux même si ceux-ci ne sont pas adaptés à ses besoins.
Alors que les partisans de l’abolition des commissions font valoir que les investisseurs n’en ont pas pour leur argent, l’industrie des fonds communs et les conseillers répondent qu’une élimination pure et simple aurait un effet toxique. D’une part, disent-ils, les gens hésiteraient à payer directement pour les services d’un conseiller, ce qui les découragerait d’épargner pour la retraite. De l’autre, cette chute de clients réduirait les revenus des conseillers et les forcerait à quitter le secteur financier.
Lors du lancement de la consultation de six mois, une période plus longue que d’habitude, les ACVM avaient évoqué l’idée qu’«il y a lieu d’envisager une transition vers des mécanismes de rémunération directe dans le cadre desquels l’investisseur verse directement au courtier sa rémunération».
«Nous convenons que les commissions intégrées soulèvent des conflits d’intérêts potentiels et limitent la connaissance des investisseurs concernant le coût lié à la rémunération des courtiers»,a écrit la Banque Nationale dans son mémoire remis aux ACVM. Cela dit, «certains de ces enjeux ont été résolus grâce à la mise en oeuvre» des nouvelles règles qui encadrent la divulgation des frais sur les relevés. «Il faudrait évaluer le résultat de ces règles avant d’en imposer de nouvelles. »
Le Mouvement Desjardins, qui compte plus d’un demi-million d’investisseurs dans le réseau des caisses, plaide lui aussi pour la prudence. D’autant plus, dit-il, qu’une abolition augmenterait «assurément» les coûts liés aux services. Évoquant une «lourdeur administrative», il
mentionne notamment «la négociation de la rémunération du courtier par une rémunération directe, la gestion des liquidités pour le paiement des honoraires, la complétion de documents relatifs à l’entente découlant des négociations, etc. ».
S’il allait de l’avant avec une abolition, le Canada deviendrait le cinquième pays à le faire, après les Pays-Bas, le Royaume-Uni, l’Australie et l’Afrique du Sud.
Moyenne des commissions
L’industrie canadienne des fonds communs affirme que les commissions intégrées ne sont que de 0,78 % en moyenne
pour les gens disposant de moins de 100 000 $, comparativement à 1,3% pour des comptes à honoraires aux États-Unis. Au bout de dix ans, à un rendement annuel de 5%, cela représenterait 7000 $.
L’organisme FAIR Canada, qui défend les intérêts des investisseurs, a eu des propos durs à l’égard des commissions intégrées. Selon lui, « les Canadiens qui ont acheté des fonds communs comportant ces commissions n’obtiennent pas du conseil objectif, mais la vente d’un produit sous le couvert du conseil, et ces fonds n’atteignent pas les objectifs». Le public investisseur verse chaque année des commissions de 5 milliards, avance-t-il.
Les moins nantis
La CIBC estime de son côté que l’abolition des commissions intégrées « pourrait avoir un effet disproportionné sur les investisseurs moins nantis et, surtout, ceux qui font affaire avec un conseiller indépendant ». Non seulement n’est-il pas clair que ces gens sont prêts à payer directement pour du conseil, mais «il n’est pas clair non plus qu’ils se dirigeraient vers du conseil en ligne, comme le suggèrent les ACVM ».
L’expression «conseil en ligne» fait référence aux nouveaux joueurs, qui ne facturent qu’une fraction du prix des acteurs traditionnels car ils investissent l’argent de leurs clients dans des fonds négociés en Bourse, généralement très peu coûteux. Ces services, orientés notamment vers une clientèle plus jeune et à l’aise avec des interfaces numériques, s’inscrivent dans la mouvance de la fintech, qui attire de plus en plus l’attention des grandes firmes, dont la Financière Power.