Le Devoir

Décès de Helmut Kohl, père de l’Allemagne unifiée et Européen convaincu

- ANTOINE LAMBROSCHI­NI à Berlin

Helmut Kohl, père de la réunificat­ion allemande 45 ans après la Deuxième Guerre mondiale, pilier de la constructi­on européenne et détenteur du record de longévité à la chanceller­ie (1982-1998) dans l’Allemagne moderne, est mort vendredi à 87 ans.

Il «a été une chance pour tous les Allemands, et […] a aussi changé ma vie de manière décisive», a déclaré la chancelièr­e Angela Merkel au sujet de son mentor en politique.

«Il restera dans nos mémoires comme un grand Européen, comme le chancelier de l’unité » du pays, a-t-elle dit de Rome, où elle doit rencontrer le pape François samedi.

Helmut Kohl avait pris sous son aile Mme Merkel, qui a grandi en RDA (l’Allemagne de l’Est communiste), après la réunificat­ion. Elle finira par l’évincer en 1999 pour lui succéder à la tête de son parti conservate­ur, la CDU, à l’issue d’une bataille interne. Le chancelier ne le lui pardonnera jamais.

Le quotidien populaire Bild, le premier à avoir annoncé le décès et dont la direction était très proche de l’ex-chancelier, a précisé qu’il s’était éteint vendredi matin «dans sa maison de Ludwigshaf­en », dans le sud-ouest de l’Allemagne.

Selon ce journal, il est mort « paisibleme­nt » avec à ses côtés sa seconde épouse, Maike Kohl-Richter. «Il n’allait pas bien depuis plusieurs jours», poursuit-il.

«Artisan de l’Allemagne unie et de l’amitié franco-allemande: avec Helmut Kohl, nous perdons un très grand Européen», a déclaré le président français Emmanuel Macron.

«Très affecté», le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a perdu « un ami personnel», selon son porte-parole.

L’ex-chancelier avait été notamment, avec le président français d’alors, François Mitterrand, l’un des initiateur­s de l’Union économique et monétaire qui conduira à l’euro. Il a aussi jeté les bases de l’élargissem­ent de l’UE vers l’est après la fin de la guerre froide.

Santé défaillant­e

Helmut Kohl, en très mauvaise santé depuis des années et cloué dans un fauteuil roulant depuis 2009, avait notamment souffert d’un accident vasculaire cérébral et s’était cassé la hanche. Il apparaissa­it peu en public et avait de graves dif ficultés d’élocution.

L’ex-chancelier restera dans l’histoire pour avoir forcé la main des dirigeants soviétique et américain Mikhaïl Gorbatchev et George H. W. Bush, mais aussi de ses alliés européens, afin que la RDA rejoigne la RFA en 1990, moins d’un an après la chute du mur de Berlin.

«C’était sans aucun doute une personnali­té exceptionn­elle, qui laissera son empreinte dans l’histoire allemande, européenne et internatio­nale », a déclaré M. Gorbatchev.

M. Bush a salué «un vrai ami de la liberté» et «l’un des plus grands leaders de l’Europe d’après-guerre ».

Le président russe, Vladimir Poutine, a rendu hommage à un «partisan du développem­ent des relations amicales entre nos deux pays».

M. Kohl avait permis la fin de l’occupation militaire de l’Allemagne, imposée par les quatre puissances victorieus­es du nazisme à partir de 1945, favorisant ainsi l’émergence d’une Allemagne forte sur la scène internatio­nale.

Pourtant, quand à 52 ans il prend la tête en 1982 du gouverneme­nt de l’Allemagne de l’Ouest, il est la cible de railleries pour son côté rustique et provincial. Personne n’aurait alors parié que ce fils d’un fonctionna­ire du fisc, issu d’une famille de la petite-bourgeoisi­e catholique de Ludwigshaf­en, entrerait dans la mémoire collective européenne.

Mais le 9 novembre 1989, le mur de Berlin s’effondre et le chancelier conservate­ur, alors contesté dans son propre parti (CDU), endosse, pour reprendre ses propres termes, « le manteau de l’Histoire».

Vite, il perçoit l’appétit des Allemands de l’Est pour une unificatio­n des deux États et l’obtient, malgré les craintes qu’elle suscite.

Dans les rues de Berlin, les Allemands saluaient vendredi soir la mémoire d’Helmut Kohl, à l’image de Viktor Martens: «C’était un grand homme, qui a beaucoup fait pour l’Allemagne. Il a été l’un des plus grands hommes politiques de l’après-guerre», a-t-il déclaré à l’AFP.

Sa fin de carrière sera moins glorieuse, ternie par un scandale de caisses noires pour le financemen­t de son parti. Il finira par reconnaîtr­e avoir recueilli des dons occultes et Angela Merkel en profitera pour prendre sa place.

Plus récemment, en avril 2016, Helmut Kohl a dénoncé la politique d’accueil de son ancienne protégée, qui a permis l’arrivée de près d’un million de migrants en 2015, et reçu le premier ministre hongrois Viktor Orban, farouche détracteur de la chancelièr­e.

Les soubresaut­s de sa vie privée, étalés dans divers livres et journaux allemands — brouilles avec ses enfants, polémique sur le rôle de sa nouvelle femme, manière dont il a traité sa première épouse malade, Hannelore, qui s’est suicidée en 2001 —, ont achevé d’assombrir ses dernières années.

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MARK-OLIVIER MULTHAUP AGENCE FRANCE-PRESSE Le chancelier allemand Helmut Kohl prend un bain de foule en septembre 1990 parmi des centaines d’Allemands de l’Est réunis à la place de la Paix avant les élections de l’Allemagne de l’Est.

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