Le Devoir

Quand IAM a fait école

Le groupe rap français célèbre son mythique L’école du micro d’argent, enregistré il y a 20 ans

- PHILIPPE PAPINEAU

À l’époque, on pouvait mettre une toune de NAS et après du IAM, et pour une fois on n’avait pas “honte” du rap aujourd’hui.» francophon­e. Sur le plan sonore, cet album-là, il pétait le feu, et c’est encore le cas Cédric Morgan, qui était très impliqué dans le rap québécois à l’époque

Lancé il y a 20 ans, le disque

L’école du micro d’argent, du groupe rap IAM, a laissé une marque indélébile en France, trouvant plus de 1,5 million de preneurs. Mais ce disque concept finement écrit a aussi fait école au Québec. Retour en arrière.

De temps en temps dans l’histoire de la musique, il y a des albums qui forgent l’esprit d’une génération, qui défrichent, qui éblouissen­t et ouvrent de nouvelles zones de possibilit­és. Pour des milliers de Québécois qui étaient adolescent­s en 1997, la sortie de L’école du micro d’argent, du groupe marseillai­s IAM, a eu l’effet d’un électrocho­c.

Si on peut tenir pour acquis aujourd’hui que rapper en français au Québec est possible, voire incontourn­able, la situation était fort différente il y a vingt ans. Faire claquer les mots dans la langue de Molière restait un geste marginal que seuls quelques artistes comme KC LMNOP ou le groupe MRF (Mouvement rap francophon­e) posaient.

Puis il y a eu L’école du micro d’argent, troisième disque de la bande, qui a donné un coup de pied dans la fourmilièr­e avec ses 16 titres aux rythmes modernes, aux phrasés érudits et aux thèmes sociaux forts. En plus, IAM y jonglait avec un concept accrocheur, quelque part entre le monde des samouraïs et celui de Star Wars. On y retrouvait aussi la collaborat­ion de Sunz of Man, affilié au mythique Wu-Tang Clan.

Le rappeur Jam, du groupe Brown, se souvient qu’à l’époque, «les gens n’écoutaient pas de rap français. Et quand IAM est arrivé, plein de gens autour de moi disaient qu’ils n’écoutaient pas de rap français… sauf IAM!»

La brèche était donc ouverte. Et le terreau était fertile — arrivera Dubmatique peu après, par exemple. Mais l’oeuvre d’IAM était massive, et à la hauteur devant le rap américain, se souvient Cédric Morgan, très impliqué dans le rap québécois à l’époque et qui travaillai­t aussi pour Virgin, l’étiquette du groupe français. « À l’époque, on pouvait mettre une toune de NAS et après du IAM et pour une fois on n’avait pas “honte” du rap francophon­e. Sur le plan sonore, cet album-là, il pétait le feu, et c’est encore le cas aujourd’hui. »

Pas de honte

Le disque a été enregistré à New York sur plusieurs mois. En est émergé des bombes comme Petit frère, Nés sous la même étoile, La saga, Demain c’est loin, Un bon son brut pour les truands, Quand tu allais on revenait… Bref, il y a fort peu de «bois mort» sur L’école du micro d’argent. Au Québec, le disque s’est écoulé à quelque 63 000 exemplaire­s, dont 12 000 en format cassette.

Pour Benoît Beaudry, de l’émission Ghetto Érudit diffusée depuis 11 ans sur les ondes de CISM, c’est beaucoup le fond des textes d’IAM qui a permis au groupe de s’ancrer ici.

«Que ce soit le petit frère qui veut grandir trop vite, Elle donne son corps avant son nom qui aborde la prostituti­on, ou Nés sous la même étoile, qui parle des classes sociales, je pense que ça parlait aux jeunes du Québec. Et si cet album-là est encore un classique pour moi, c’est que les thèmes abordés sont malheureus­ement toujours d’actualité. »

La manière et l’accent

Les inégalités, les injustices, voilà qui peut parler aux adolescent­s. Mais IAM l’a fait avec une touche particuliè­re et une approche «tranquille», précise le rappeur Maxime Gabriel, aussi connu sous son ancien pseudonyme, «Farfadet».

«C’est du rap intelligen­t, et quand même grand public, c’est le genre de truc que tu pouvais faire écouter à tes parents sans être gêné, raconte celui qui a découvert IAM grâce à son grand frère. Ç’a fait du bien au rap, où il y avait beaucoup de racailles à l’époque — ce qui n’était pas mauvais en soi. Mais IAM était capable de présenter un sujet, de brasser des trucs, de bien amener des idées sans nécessaire­ment être obligé de choquer et de prendre des positions extrêmes.»

Et il y a l’accent, souligne Cédric Morgan, qui à cette époque était en train de fonder l’étiquette rap MontReal avec les gars de Sans Pression. Selon lui, le fait que les Marseillai­s d’IAM se distinguai­ent malgré leur phrasé différent de celui de la grande Paris, coeur de l’industrie musicale, a pu décomplexe­r les Québécois. «Il y avait un régionalis­me dans l’attitude, dans le langage. Tout à coup, au Québec, on pouvait se dire que c’était possible de rapper avec notre accent, et pas comme les Parisiens.»

Marketing et visuel

Au-delà de la musique, L’école du micro d’argent était aussi une oeuvre visuelle forte, avec une pochette rouge vif, une typographi­e unique, «et même un logo», de rappeler Benoît Beaudry de Ghetto Érudit. Sur combien de sacs d’école et d’étuis à crayon pouvait-on le retrouver dessiné ?

Et il ne faut pas négliger l’apport des vidéoclips, que l’on pouvait voir à Musique Plus et qui étaient visuelleme­nt épatants, comme de petits films qui peuvent faire penser à un mélange de La matrice (1999) et de films de kung-fu. « Je me souviens des effets spéciaux des créatures contre qui les gars d’IAM se battaient» dans les clips de la pièce titre et de La saga, se souvient le rappeur Maxime Gabriel, la voix souriante.

Et au-delà de tout ça, l’étiquette Virgin avait aussi mis le paquet au Québec, se souvient Cédric Morgan. « IAM, c’était une priorité pour eux. Je travaillai­s sur l’aspect promo, et il y avait des moyens substantie­ls pour que ça marche. On avait distribué des vinyles, le premier single avait été La saga. La promo se faisait dans la rue, avant même que l’album ait un buzz.»

Maxime Gabriel réécoute régulièrem­ent L’école du micro d’argent et assure que l’album a bien vieilli, même qu’il scrute encore les techniques du groupe, entre autres les méthodes d’échantillo­nnage. «C’était un disque pour entrer dans la légende. Pas dans le show-business, mais pour s’établir comme des pionniers. »

Clairement, comme on peut l’entendre sur Un bon son brut pour les truands, c’était «une musique pas faite pour cent personnes, mais pour des millions ».

 ?? BERTRAND GUAY AGENCE FRANCE-PRESSE ?? La formation en concert en février 2015 à Paris. Le style des Marseillai­s a ouvert la voie au rap québécois, selon Cédric Morgan.
BERTRAND GUAY AGENCE FRANCE-PRESSE La formation en concert en février 2015 à Paris. Le style des Marseillai­s a ouvert la voie au rap québécois, selon Cédric Morgan.

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