Le Devoir

Monteverdi était déjà là 75 ans avant Montréal !

Dans quelques jours, Montréal baroque fêtera le 450e anniversai­re du compositeu­r italien

- CHRISTOPHE HUSS

Le monde musical fête en 2017 le 450e anniversai­re de la naissance d’un compositeu­r capital pour son histoire: l’Italien Claudio Monteverdi (1567-1643). Le festival Montréal baroque lui rendra hommage lors de son concert d’ouverture, le 22 juin, lorsque Matthias Maute dirigera les fameuses Vêpres de la Vierge.

Il y a peu de compositeu­rs de cet acabit : Haydn, Beethoven, Stravinski… Ouvrir la porte marquée Monteverdi, c’est s’ouvrir à un nouvel univers que ce compositeu­r a conceptual­isé, réorienté ou reformulé, parfois à partir de graines semées par d’autres.

Alors oui, Monteverdi, comme on l’apprend, c’est «la naissance de l’opéra». Mais c’est bien davantage. Les analogies ont souvent été faites avec la révolution picturale du Caravage (1571-1610). C’est juste, car l’adjectif qu’il faut associer à Monteverdi, c’est « expressivi­té». Chez le Caravage, c’est l’expressivi­té par la lumière; chez Monteverdi, c’est l’expressivi­té par le mot. L’invention du théâtre musical, lorsque Monteverdi compose en 1607, à Mantoue, L’Orfeo, une fable en musique, n’est qu’un aboutissem­ent de ce que cet auteur creuse depuis l’âge de vingt ans dans ses livres de Madrigaux.

Casser les règles

Au moment de composer L’Orfeo, Monteverdi, né en 1567, a déjà à son actif cinq Livres de Madrigaux (1587, 1590, 1592, 1603, 1605). Deux ans avant L’Orfeo, le Livre V marque une ère nouvelle, puisque dans sa préface Monteverdi explique que sa méthode de compositio­n constitue une «seconda prattica» (seconde pratique), qui visera désormais à remplacer les règles harmonique­s coulées en 1558 dans le béton des «Istitution­i harmoniche » (les institutio­ns harmonique­s) par Gioseffo Zarlino.

Ces sacro-saintes règles, dont Palestrina fut le chantre le plus pur au regard de la postérité, constituer­ont désormais pour l’histoire une prima prattica. Ce faisant, évidemment, Monteverdi se donne une palette expressive totalement nouvelle: à travers les dissonance­s, il peut développer l’expression des affects.

Monteverdi n’est évidemment pas le seul. Un autre progressis­te de l’époque a pour nom Giulio Caccini. Le travail de ces créateurs va se faire non seulement sur les licences harmonique­s, mais aussi sur l’accompagne­ment instrument­al de la voix et, enfin, sur l’ornementat­ion.

En 1602, dans Le nuove musiche, Caccini décrit, à travers des exemples d’ornements, la manière dont un passage spécifique peut être orné de plusieurs manières différente­s, selon l’émotion que le chanteur souhaite exprimer. Tous les ingrédient­s sont là pour mener à la révolution du théâtre musical, l’opéra tel qu’inventé par Monteverdi.

Hélas, il ne nous reste que trois opéras de Monteverdi: L’Orfeo (1607), Le retour d’Ulysse dans sa patrie (1640) et Le couronneme­nt de Poppée (1643). Tous les autres ont été perdus: Ariane (1608), Andromeda (1620), Armida (1626), Proserpina rapita (1630), Le nozze d’Enea in Lavinia (1641), sans compter les ouvrages inachevés…

Viré, et c’est tant mieux!

Monteverdi, dès le début de sa carrière, fut engagé à la cour des Gonzague à Mantoue. Le génial Lamento d’Ariane est la seule page restante de l’Ariane composée en 1608 pour les noces du prince Francesco Gonzague. Ce Francesco congédia Monteverdi quatre ans plus tard…

Quelle bonne idée, car Monteverdi trouva un excellent accueil à Venise, ce qui nous vaut trente années magistrale­s, où son poste de maître de chapelle de la basilique Saint-Marc l’incita à composer de la musique sacrée, un genre dans lequel il excella et auquel il apporta son sens de l’éloquence.

En fait, après le mariage de Francesco Gonzague, Monteverdi s’était déjà fait à l’idée d’un changement de carrière et avait clairement ciblé Venise. C’est pour cela que la date de 1610 est accolée à un recueil de psaumes nommé Vêpres de la Vierge Marie. Était-ce une sorte de «partition de candidatur­e» pour le poste vénitien? Nul ne le sait. Évidemment, le genre de ces Vêpres est lui aussi nouveau. Monteverdi fait exploser tous les codes, alternant l’intime et le monumental, l’instrument­al et le vocal, le profane et le religieux. Il réinvente même parfois l’expression vocale !

À Venise, Monteverdi se démarquera comme un maître de la compositio­n de musiques sacrées. Il léguera à la postérité, en 1640, une Forêt morale et spirituell­e (La selva morale e spirituale), recueil majeur de quarante oeuvres sacrées, son testament artistique.

Évidemment, sur le plan historique, si tout était préservé, notre attention serait accaparée par l’évolution du langage et des moyens musicaux et expressifs de Monteverdi au fil des opéras. Ceux-ci étant perdus pour la plupart, il reste le cheminemen­t fabuleux des Livres de Madrigaux puisque Monteverdi continua à en publier à Venise: le 6e en 1614, qui comprend une adaptation à cinq voix du Lamento d’Ariane, le 7e (1619) et le fabuleux Livre VIII (1638), celui des Madrigaux guerriers et amoureux, avec une extraordin­aire scène d’opéra en miniature, Le combat de Tancrède et de Clorinde.

De nombreux interprète­s puisent transversa­lement dans les recueils pour composer des programmes thématique­s. Parmi eux, notre disque de l’année 2016: Les sept péchés capitaux, un programme lumineusem­ent concocté par Leonardo García Alarcón. Si ce n’est déjà fait, c’est le moment de succomber !

 ?? GILLES BRISSETTE ?? C’est l’Ensemble Caprice conduit par Matthias Maute qui ouvrira Montréal baroque avec les Vêpres de la Vierge de Monteverdi.
GILLES BRISSETTE C’est l’Ensemble Caprice conduit par Matthias Maute qui ouvrira Montréal baroque avec les Vêpres de la Vierge de Monteverdi.

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