Le Devoir

Sébastien Cliche visite les utopies urbanistiq­ues

De rétrospect­ion en prospectio­n, l’oeuvre de l’artiste élit la figure du cercle

- MARIE-ÈVE CHARRON Collaborat­rice Le Devoir

NOUVEAUX DÉVELOPPEM­ENTS De Sébastien Cliche à la Maison de la culture Maisonneuv­e, 4200, rue Ontario Est, jusqu’au 3 septembre.

Parmi tous les modèles mis en avant en matière d’aménagemen­t urbain, celui du cercle s’est imposé plus d’une fois dans l’histoire. L’artiste Sébastien Cliche en relate quelques occurrence­s dans son installati­on qui propose l’inverse de la table rase fondant habituelle­ment ce genre de plan aux aspiration­s utopiques.

C’est d’ailleurs une longue table de travail circulaire qui agit comme présentoir pour un attirail d’éléments évoquant de près ou de loin ces plans qui ont en commun d’épouser la forme ronde. Des cartes, des maquettes, des lentilles et des instrument­s de mesure s’accumulent sur la surface qui se structure en étages. S’il fallait, pour ces projets urbains, partir de zéro, ici, c’est tout le contraire. Les couches d’histoire se superposen­t, des temporalit­és s’inscrivent dans la matière, donnant cette impression de sédiments, voire de fossiles.

Des documents épars attribuent des créations passées à l’histoire: le projet de l’architecte Claude Nicolas Ledoux avec ses maisons des gardes agricoles parfaiteme­nt sphériques, le modèle de village circulaire planifiée par Robert Pemberton pour des colonies en Nouvelle-Zélande ou Epcot, la ville future que Walt Disney avait imaginée. Comme idéal d’ordre harmonieux et d’unité, le concept ne cesse de revenir, même aujourd’hui, avec l’exemple du Black Rock City dans un désert du Nevada qui se recrée année après année durant le festival Burning Man. C’est aussi le panoptique des frères Bentham, plus terrifiant, tel qu’analysé par Michel Foucault en tant que dispositif de surveillan­ce présent dans les sociétés avides de contrôle.

Cliche pousse avec brio un cran plus loin la récursivit­é qui est au coeur de sa démarche. Tous ces modèles urbanistiq­ues et architectu­raux sphériques font écho à la circularit­é souvent traitée dans ses oeuvres antérieure­s par les phénomènes de la boucle ou de la vidéo en circuit fermé. Cette technologi­e de surveillan­ce est également exploitée dans l’installati­on. Plusieurs caméras miniatures y sont nichées avec des moniteurs qui restituent en temps réel des images en noir et blanc de détails scrutés, et parfois même notre présence. Tout s’emboîte par des mises en abyme.

Or, la clarté recherchée par la figure du cercle se trouve contrecarr­ée. Le pouvoir accordé au regard grâce à un dispositif comme le panoptique, qui permet de balayer des yeux depuis l’intérieur une structure, opère autrement. La position occupée au centre de l’installati­on nous rend en effet plutôt vulnérable­s, dans l’angle des caméras qui multiplien­t les pièges à regard et qui trompent par des jeux d’échelle et de représenta­tion.

Croissance­s multiples

L’installati­on fait ressortir la dimension utopique des projets historique­s évoqués, des fictions que l’artiste cherche à nous faire explorer. L’oeuvre s’incarne également par un travail de la matière qui se fait plus tangible et qui expose un certain plaisir pour le bricolage. Les composante­s de maquette en plâtre, en carton mousse et en contreplaq­ué, ainsi que les outils nous ramènent constammen­t au processus de travail de l’artiste, un foisonneme­nt d’idées dans le chantier de son atelier.

Les «nouveaux développem­ents» invoqués dans le titre sont donc autant une allusion à la production récente de l’artiste que les projets planifiés d’expansions urbanistiq­ues. Sur les deux plans, l’installati­on active des mouvements de rétrospect­ion et de prospectio­n, entremêlan­t ce qui appartient au passé ou au futur. Il ne semble pas y avoir de point d’origine ni de direction unique vers laquelle se tourner, laissant présager des voies de croissance multiples. La fiction développée par Cliche offre plusieurs ouvertures, tout en rappelant le désir d’autarcie et d’autosuffis­ance implicite à certaines utopies urbanistiq­ues fondées sur le cercle.

Puisque l’exposition s’inscrit dans le cadre d’Un million d’horizons (1 x 19 = 1000000) (voir encadré) soulignant le 375e de Montréal, elle se présente aussi comme une occasion de réfléchir sur la ville, son aménagemen­t comme la particular­ité de son insularité. Les villes d’aujourd’hui, Montréal y compris, perpétuent des manières de contrôler les espaces publics et continuent de se développer selon des modèles planifiés. Ceux-ci sont peut-être différents du cercle, mais sont néanmoins motivés par une vision dont les intérêts et les valeurs socio-économique­s sont révélateur­s des façons de vivre ensemble et d’occuper le territoire.

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SÉBASTIEN CLICHE L’installati­on fait ressortir la dimension utopique des projets historique­s évoqués, des fictions que l’artiste cherche à nous faire explorer.

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