La musique tourne rondement chez Thomas Bégin
L’artiste crée un orchestre à partir d’un tourne-disque sans disque
SEE YOU IN THE NEXT LOOP De Thomas Bégin. À la galerie B-312 (372, rue Sainte-Catherine Ouest, espace 403), jusqu’au 24 juin.
La musique — et le son, de manière plus générale — se résume à une affaire de réseau, de circuit, de système fortement organique. Entre le point A qui le crée et le point B qui le perçoit, il y a toute une enfilade d’étapes à travers lesquelles il chemine et se transforme. Chez des artistes de la trempe de Thomas Bégin — soit quelqu’un capable de bricoler et de recycler le premier objet qui lui tombe sous la main —, le réseau est un concept très concret.
Sans doute, Thomas Bégin, dont on qualifie parfois les oeuvres de «compositions», est un enfant de la musique concrète. Dans le monde de l’art contemporain encore trop associé à l’appellation «arts visuels», Bégin ne fait pas de la musique, mais des installations, et ses prestations publiques ne sont pas des concerts, mais des performances.
Le résultat de ses dernières expérimentations… matérielles est à voir et à entendre à la galerie B-312, située au Belgo. L’exposition See You in the Next Loop ne comporte pas une série d’oeuvres. Il s’agit plutôt d’un seul ensemble de sculptures cinétiques et sonores, chacune étant un assemblage de matériaux quelque peu tordu avec, en leur coeur, un tourne-disque.
De cet orchestre de structures en lampes, miroirs, mobilier et, bien sûr, fils électriques et haut-parleurs, sortent des vibrations tenues. Il faut tendre l’oreille pour en saisir chaque portée.
C’est un salon d’écoute qu’est devenue la grande salle de B-312, salon familial doté de ses vieux fauteuils douillets. Dans la petite salle, plongée dans la pénombre, c’est une sculpture un peu différente, plus au ras du sol, moins verticale, qui s’active.
Dans tous les cas, le principe est le même. Le tourne-disque tourne sans disque. L’artiste puise plutôt ses sources sonores à même l’objet, dans son mécanisme rotatif et ses motifs gravés sur les côtés. Il le fait par le biais d’un système précis de projections lumineuses et de photodiodes — ceux-ci détectent un rayonnement optique et le transforment en signal électrique. Il procède ainsi non sans détourner le son une fois de plus à travers la réverbération d’un miroir.
Tout ceci semble bien complexe. Mais c’est un trompel’oeil, ou presque, tellement la simplicité mécanique et électrique est là, nue et évidente.
Thomas Bégin n’avait pas exposé en solo depuis trois ans et sa présence dans la vaste Fonderie Darling. Son moteur créatif, celui de magouiller un frottement de matières en musique, n’a pas changé. Souvent, ce sont des instruments musicaux (guitares, cymbales) qui sont à la base de son orchestration, toujours complétée, ou influencée, par les interventions d’un logiciel.
Ce qui semble être la singularité de ce nouveau rendezvous sonore qui tourne dans une boucle sans fin (tant qu’il y a source de lumière), c’est l’absence d’instrument. En fait, la platine tournante prend place d’instrument.
Ce détournement de sens est double : non seulement l’objet manufacturé et industrialisé est pièce d’art, mais il est passé du stade de support (pour le disque, pour la musique) à celui qui renferme l’expression. Pas de manière métaphorique comme chez un Raymond Gervais, mais concrètement, par son propre fonctionnement rotatif.