Le Devoir

Vie, mort et résurrecti­on de Tupac Shakur

La carrière tumultueus­e d’un rappeur assassiné à l’âge de 25 ans, fauché en pleine gloire

- ANDRÉ LAVOIE

Le 7 septembre 1996, le monde s’est écroulé pour les admirateur­s de Tupac Shakur, l’une des grandes figures du rap des années 1990, criblé de balles dans sa voiture à Las Vegas, poussant son dernier souffle le 13 septembre, à l’âge de 25 ans. Au-delà de sa musique, de sa grande visibilité (il a joué dans plusieurs films et défrayé la chronique judiciaire), de l’ambiguïté de sa poésie (mercantile pour certains, révolution­naire pour d’autres), le mystère entourant l’identité de ses meurtriers demeure entier: on fabrique des mythes avec moins que ça.

La complexité de Tupac (Demetrius Shipp Jr., un nouveau venu manquant d’assurance) peut se mesurer au temps qu’il a fallu pour illustrer sa vie sur grand écran, les embûches judiciaire­s ayant été nombreuses, certaines générées par sa mère, Afeni Shakur (Danai Gurira, une intensité à la Viola Davis), décrite dans All Eyez on Me, de Benny Boom, comme une tigresse. Celle-ci, proche des Black Panthers, fut longtemps traquée par le FBI, nourrissan­t une rage qu’elle a transmise à son fils, né à New York en 1971 avant d’être trimballé de Baltimore (où il a développé sa sensibilit­é à l’égard de la poésie et du théâtre) à la Californie, lieu de ses débuts profession­nels et de ses frasques les plus violentes.

Benny Boom, un pro du vidéoclip, tente de remporter un pari que plusieurs jugeront impossible: satisfaire les disciples et les exégètes, car son oeuvre fait même l’objet d’études universita­ires, tout en ralliant à sa cause un large public pour qui le rap et le hip-hop apparaisse­nt comme l’écho d’une lointaine galaxie. La mécanique narrative s’avère simple, celle d’une entrevue télévisée en forme de confession menée en 1995 alors qu’il croupit en prison, déballant son passé marqué par la pauvreté, la violence policière, et ses débuts foudroyant­s. Car sa popularité ne plaira pas à tous les bonzes et à toutes les vedettes de la scène rap, suscitant des rivalités orageuses, dont celle qui l’oppose à The Notorious B.I.G., qui va d’ailleurs mourir dans des circonstan­ces similaires, jamais élucidées.

Cette musique, chargée d’une légitime colère mais aussi d’une violence souvent gratuite doublée d’une effroyable misogynie, All Eyez on Me en déconstrui­t les racines profondes, ainsi que les multiples contradict­ions. Tupac Shakur apparaît souvent comme une anomalie, un enfant prodige capable d’étaler sa culture littéraire pour mieux la camoufler lorsqu’il s’agit de faire sonner le tiroir-caisse, citant Shakespear­e tout en légitimant des bains de sang qui impliquera­ient la mort de policiers blancs. Au moment de la sortie de Me Against the World, l’artiste est derrière les barreaux tandis que l’album se hisse au sommet des palmarès, une première (ironique) dans l’histoire de la musique…

All Eyez on Me aurait sans doute bénéficié de l’indignatio­n plus inspirée d’un Spike Lee, le film cédant aux facilités de l’hommage musical ; les scènes de concert témoignent de l’enthousias­me du cinéaste, donnant aux adulateurs ce qu’ils connaissen­t déjà. Et ceux-ci répètent, tel un mantra, les paroles prophétiqu­es de la chanson Me Against the World : «After death / after my last breath / when will I finally get to rest ? »

À en juger par la ferveur de ses admirateur­s, et la fureur de ses détracteur­s, Tupac Shakur devra encore patienter.

 ?? VVS FILMS ?? Dans la peau de Tupac Shakur, le nouveau venu Demetrius Shipp Jr. manque d’assurance.
VVS FILMS Dans la peau de Tupac Shakur, le nouveau venu Demetrius Shipp Jr. manque d’assurance.

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