Échappée belle
Un sac de billes de Christian Duguay se veut autant un devoir de mémoire qu’un film familial
Le réalisateur québécois Christian Duguay aura mis le temps, mais c’est finalement en France, à l’aube de la soixantaine, qu’il a trouvé sa voie et sa voix. Longtemps abonné aux coproductions d’action et de science-fiction canado-américaines de série B, il n’a en effet jamais été aussi à l’aise que dans l’Hexagone, où il s’est découvert des affinités avec le cinéma familial à saveur historique, son nouveau créneau. Après les succès consécutifs de Jappeloup et de la suite de Belle et Sébastien, au tour de son adaptation du roman Un sac de billes de confirmer ce second souffle.
Tiré du roman autobiographique de Joseph Joffo, le film relate la fin de la petite enfance de ce dernier dans la France occupée. On y suit, de 1941 jusqu’à la Libération, ses pérégrinations ainsi que celles de son frère Maurice, du 18e arrondissement de Paris jusqu’au camp pour enfants de Golfe-Juan, en passant par Nice et son marché noir où le jeune mais débrouillard Joseph fera, pour un temps, des affaires d’or.
C’est pour sauver leur progéniture que Roman et Anna Joffo poussent celle-ci hors du nid. Dès lors, les parents ne peuvent qu’espérer que leurs petits, seuls pour la première fois, s’en sortent tandis qu’eux gagnent du temps avant de fuir à leur tour les nazis.
En toile de fond, donc: une famille dont les liens, même distendus à cause des circonstances, ne cessent de se solidifier.
Pleinement assumé
Il faut savoir qu’en France, plusieurs générations d’écoliers se sont familiarisées avec le cauchemar de la Deuxième Guerre mondiale à travers les souvenirs de Joseph Joffo, redevenu enfant narrateur dans son roman qui fit longtemps partie des lectures scolaires obligatoires.
À cet égard, le scénario écrit à cinq mains (!) préserve le point de vue de Joseph, âgé de 10 ans au commencement, tout en faisant ponctuellement intervenir le personnage en voix hors champ, comme un vieil homme qui se remémore. Le procédé narratif, éprouvé, fonctionne bien dans le cadre du film et campe d’emblée celui-ci dans un classicisme d’efficacité.
En contraste avec la vision des choses et des gens d’abord confinée puis de plus en plus élargie de Joseph à mesure qu’il affronte le monde, la mise en scène à grand déploiement de Duguay exacerbe la vulnérabilité de cet enfant lâché dans des événements qui le dépassent. La résilience dont Joseph fait preuve n’en est que plus inspirante.
Famille crédible
La direction photo, la direction artistique ainsi que les effets numériques, qui contribuent de manière invisible à recréer des paysages urbains et champêtres des années 1940, s’avèrent tous de bonne tenue. La nature authentique de l’histoire, pour romancée qu’elle eût peut-être été a posteriori, touche quant à elle.
La distribution excelle. Patrick Bruel (Le prénom) et la toujours merveilleuse Elsa Zylberstein (Il y a longtemps que je t’aime) partagent une belle chimie en parents forcés de prendre la décision la plus difficile de leur vie, tandis que Batyste Fleurial Palmieri et Dorian Le Clech, alias Maurice et Joseph, emportent l’adhésion en frérots contraints de vieillir d’un coup.
Comme les deux longs métrages précédents du réalisateur tournés en Europe, Un sac de billes s’adresse d’abord aux plus jeunes et se veut facile à comprendre et à apprécier ; lisse et prévisible, mais assumé comme tel. C’est là le genre de productions envers lesquelles il est facile de se montrer cynique en désignant, ici, un manque de personnalité artistique, là, une absence d’audace dans l’approche.
Or, le fait est que tout est soigné dans ce film à vocation populaire assumé comme tel.