Le Québec parano de Grégoire Bouchard face aux extraterrestres
Grégoire Bouchard fait revivre Bob Leclerc dans une aventure minutieusement paranoïaque
Il y a quelque chose de délicieusement troublé dans l’oeuvre de Grégoire Bouchard, quelque chose qui relève un peu de la paranoïa, de l’obsession maladive et de l’exagération du détail, autant dans le dessin, le scénario que dans la pensée binaire et carcérale dans laquelle il aime enfermer ses personnages, et du même coup ses lecteurs.
Le cauchemar argenté (Mosquito), suite des aventures de l’improbable capitaine Bob Leclerc, vient, neuf ans après son premier haut vol dans l’univers du 9e art — ça s’est joué dans Vers les mondes lointains (Paquet) —, redonner l’étrange tonalité de son univers terriblement décalé. Il y convoque une diversité de sentiments. L’indifférence n’en fait pas partie.
Il s’agit d’un retour en arrière, dans le Québec de l’été 1959, où Bob Leclerc, avec ce flegme qui trahit la part britannique de son identité, relate avec une rigueur délirante cette aventure qui l’a placé un jour de juillet face à son destin : de Montréal, il a été conduit à Cotopaxi, base secrète nichée dans la forêt boréale, pour prendre part à un vaste projet militaire canadien visant à orchestrer une riposte armée finale contre les ennemis de la Terre, les habitants de Mars. Étrange mission pour un regroupement d’humains à l’engagement et à la détermination solidement ancrée… dans une réalité, sans doute parallèle. Ou pas.
Tout est en décalage et en rupture dans ce récit dont chaque case expose la minutie de ses traits tout comme l’instabilité et l’anticonformisme de ces hommes et de cette femme conscrits par les autorités pour sauver l’humanité. «On est heureux d’être en vie, Bob, mais jamais triste d’être mort», dit le chef de mission, scientifique alcoolique marchant vers le point de bascule en gardant toujours le cap, à l’image de l’aventure scénarisée et dessinée par Grégoire Bouchard.
Sur ce chemin de la folie en zone contrôlée, la précision du propos scientifique comme celle de l’illustration explicative côtoie sans cesse le détail loufoque. Les visages carrés des héros évoluent dans des décors aux courbes et aux couleurs surannées, et avancent inlassablement vers ce tout absurde solidement orchestré, sans doute pour mieux rappeler qu’en matière de dogme et d’idéologie radicale, la position du missionnaire, c’est souvent du grand n’importe quoi.