Un post-fascisme polymorphe
De Trump à Le Pen en passant par Daech, Enzo Traverso compare ces êtres unis par leurs différences
Lemot «fascisme»vajusqu’ àeffleurer les esprits pour dépeindre aujourd’hui Donald Trump. Il est apparu en 1922 en Italie pour désigner la doctrine politique de Mussolini. On l’emploie aussi pour nommer tout autoritarisme semblable, à commencer par celui de Hitler. L’historien et politologue Enzo Traverso discerne un «post-fascisme». Il le différencie des exemples du passé sans toutefois nier une analogie avec eux. Il y voit un « ersatz aux utopies disparues».
Dans Les nouveaux visages du
fascisme, son entretien avec l’anthropologue Régis Meyran, Traverso cerne ce post-fascisme qui, par exemple en France, avec le Front national de Marine Le Pen, tente par la normalité des voies républicaines de réformer le système de l’intérieur. Né en 1957 en Italie, professeur à Cornell dans l’État de New York, après avoir longtemps enseigné en France, l’universitaire évite l’amalgame. Mais, grâce à ses distinctions soignées, une convergence troublante se dessine.
Si Traverso détecte chez le président des États-Unis des « traits fascisants », il souligne l’absence derrière lui d’un mouvement néofasciste. Contrairement aux nouvelles extrêmes droites européennes, beaucoup plus sociales et championnes de l’idée de nation, Trump est antiétatiste et individualiste. Le politologue l’appelle avec raison «un électron libre» dans la sphère encore mal définie du postfascisme. Un style plus qu’un programme campe le protectionniste et l’islamophobe.
Islamo-fascisme
Aux yeux de Traverso, un autre phénomène s’apparente au post-fascisme en se différenciant à la fois de Trump et des extrêmes droites européennes. Le politologue l’appelle l’islamo-fascisme et l’identifie en particulier au groupe armé État islamique. Même si, par le Web, ce Daech manie les codes de l’impérialisme culturel occidental, en prétendant ressusciter le califat il se tourne vers le passé, à la différence du fascisme classique qui préconisait une révolution.
Si, selon le pénétrant Traverso, l’islamo-fascisme est moins une radicalisation de l’islam qu’une islamisation d’une radicalité aveugle et violente, l’extrême droite française, dénuée de figures intellectuelles, s’enferme dans le populisme et l’électoralisme. Le politologue présume à bon droit que des intellectuels qui s’en rapprochent idéologiquement, comme Alain Finkielkraut, n’osent appuyer le Front national de peur de déchoir dans l’opinion.
Traverso reste réconfortant. Selon lui, le post-fascisme, dans toute sa gamme, existe parce que, piètre produit de remplacement, il résulte de l’éclipse vers 1980 de « “grands récits” émancipateurs» très différents l’un de l’autre: révolution sociale, rêve américain et panarabisme. Néanmoins, en rappelant que «l’idéologie du marché est la religion politique de notre temps», Traverso sous-entend que, dressée contre elle, la réaction post-fasciste est loin d’être conjurée.