Le Devoir

Un post-fascisme polymorphe

De Trump à Le Pen en passant par Daech, Enzo Traverso compare ces êtres unis par leurs différence­s

- MICHEL LAPIERRE

Lemot «fascisme»vajusqu’ àeffleurer les esprits pour dépeindre aujourd’hui Donald Trump. Il est apparu en 1922 en Italie pour désigner la doctrine politique de Mussolini. On l’emploie aussi pour nommer tout autoritari­sme semblable, à commencer par celui de Hitler. L’historien et politologu­e Enzo Traverso discerne un «post-fascisme». Il le différenci­e des exemples du passé sans toutefois nier une analogie avec eux. Il y voit un « ersatz aux utopies disparues».

Dans Les nouveaux visages du

fascisme, son entretien avec l’anthropolo­gue Régis Meyran, Traverso cerne ce post-fascisme qui, par exemple en France, avec le Front national de Marine Le Pen, tente par la normalité des voies républicai­nes de réformer le système de l’intérieur. Né en 1957 en Italie, professeur à Cornell dans l’État de New York, après avoir longtemps enseigné en France, l’universita­ire évite l’amalgame. Mais, grâce à ses distinctio­ns soignées, une convergenc­e troublante se dessine.

Si Traverso détecte chez le président des États-Unis des « traits fascisants », il souligne l’absence derrière lui d’un mouvement néofascist­e. Contrairem­ent aux nouvelles extrêmes droites européenne­s, beaucoup plus sociales et championne­s de l’idée de nation, Trump est antiétatis­te et individual­iste. Le politologu­e l’appelle avec raison «un électron libre» dans la sphère encore mal définie du postfascis­me. Un style plus qu’un programme campe le protection­niste et l’islamophob­e.

Islamo-fascisme

Aux yeux de Traverso, un autre phénomène s’apparente au post-fascisme en se différenci­ant à la fois de Trump et des extrêmes droites européenne­s. Le politologu­e l’appelle l’islamo-fascisme et l’identifie en particulie­r au groupe armé État islamique. Même si, par le Web, ce Daech manie les codes de l’impérialis­me culturel occidental, en prétendant ressuscite­r le califat il se tourne vers le passé, à la différence du fascisme classique qui préconisai­t une révolution.

Si, selon le pénétrant Traverso, l’islamo-fascisme est moins une radicalisa­tion de l’islam qu’une islamisati­on d’une radicalité aveugle et violente, l’extrême droite française, dénuée de figures intellectu­elles, s’enferme dans le populisme et l’électorali­sme. Le politologu­e présume à bon droit que des intellectu­els qui s’en rapprochen­t idéologiqu­ement, comme Alain Finkielkra­ut, n’osent appuyer le Front national de peur de déchoir dans l’opinion.

Traverso reste réconforta­nt. Selon lui, le post-fascisme, dans toute sa gamme, existe parce que, piètre produit de remplaceme­nt, il résulte de l’éclipse vers 1980 de « “grands récits” émancipate­urs» très différents l’un de l’autre: révolution sociale, rêve américain et panarabism­e. Néanmoins, en rappelant que «l’idéologie du marché est la religion politique de notre temps», Traverso sous-entend que, dressée contre elle, la réaction post-fasciste est loin d’être conjurée.

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BULENT KILIC AGENCE FRANCE-PRESSE Selon l’historien et politologu­e Enzo Traverso, l’islamo-fascisme est moins une radicalisa­tion de l’islam qu’une islamisati­on d’une radicalité aveugle et violente.

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