Le Devoir

Macron obtient les pleins pouvoirs

- CHRISTIAN RIOUX Correspond­ant à Paris

La victoire est historique, l’abstention aussi, mais l’opposition ne s’effondre pas. À l’occasion de ce second tour des élections législativ­es, le président français, Emmanuel Macron, élu il y a un mois à peine, a remporté son pari sans pour autant réaliser le raz-de-marée annoncé.

Avec plus de 300 sièges, il pourra gouverner sans même faire de compromis avec le parti de François Bayrou, son allié du MoDem qui obtient une quarantain­e de députés. Ensemble, les deux partis domineront facilement la chambre avec environ 360 députés sur 577. Mais cette élection est marquée par un énorme point noir, celui de l’abstention qui, avec 57%, atteint des niveaux inégalés jusqu’ici en France.

Malgré les prévisions de balayage intégral, à plus de 400 députés, les électeurs ont donc choisi d’envoyer à l’Assemblée nationale un groupe d’opposition de droite conséquent, qui pourra jouir d’environ 125 députés. Ils y envoient aussi environ huit députés du Front national, quatre fois plus que dans l’assemblée précédente, et une trentaine de députés de La France insoumise, dirigée par le leader d’extrême gauche Jean-Luc Mélenchon, qui pourra donc former un groupe parlementa­ire.

Le mouvement du président Emmanuel Macron a fait élire la plupart de ses têtes d’affiche, comme les ministres Christophe Castaner, Richard Ferrand et l’ancien Républicai­n Bruno Le Maire. «La victoire est claire et elle nous oblige », a déclaré le premier ministre Édouard Philippe. Selon lui, «par leur vote, les Français ont, dans leur grande majorité, préféré l’espoir à la colère, la confiance au repli ». Mais, déplore-til, «l’abstention n’est jamais une bonne nouvelle pour la démocratie». Le premier ministre y voit

pour sa part « une ardente obligation de réussir ».

La droite, sans être décimée, sort diminuée de cette élection. Elle est surtout divisée entre les élus qui, comme Thierry Solère, se posent en soutien au nouveau président et ceux qui, comme Laurent Wauquiez, veulent constituer une véritable opposition. Selon son leader, François Baroin, le président «dispose cette fois de l’ensemble des pouvoirs ». Mais, dit-il, l’élection «a permis la constituti­on d’un groupe suffisamme­nt important pour faire entendre nos engagement­s, pour faire valoir nos conviction­s, pour défendre nos valeurs». Reste à savoir lesquelles. Chez Les Républicai­ns, les semaines à venir pourraient annoncer de profondes divisions. À Paris, l’ancienne ministre Nathalie Kosciusko-Morizet a été battue.

Même si le Front national n’aura pas de groupe parlementa­ire, il devrait avoir environ huit députés alors qu’il n’en avait que deux dans l’Assemblée sortante. Parmi eux, six viennent du bassin minier du Nord– Pas-de-Calais, terribleme­nt éprouvé par la crise de l’industrie française et où sa présidente, Marine Le Pen, a été largement élue. Dans le Sud, Louis Aliot et Emmanuelle Ménard (épouse du maire de Béziers Robert Ménard) sont aussi élus, ainsi que Gilbert Collard, qui bat de justesse un candidat-vedette d’Emmanuel Macron dans le Gard. Le numéro deux du parti, Florian Philippot, a été battu à Forbach, en Lorraine, ce qui pourrait annoncer un effacement de sa stratégie de sortie de l’euro au profit d’une ligne moins souveraini­ste et plus conser vatrice.

«L’abstention fragilise considérab­lement la légitimité de la nouvelle Assemblée nationale, a déclaré Marine Le Pen. À cela s’ajoute celle gravissime du manque de représenta­tivité de la chambre élue ce soir. Il est scandaleux qu’un mouvement comme le nôtre, avec 6,7 millions d’électeurs à la présidenti­elle, ne puisse obtenir un groupe à l’Assemblée nationale. »

Mélenchon gagnant

Le visage le plus réjoui en ce dimanche soir était celui du candidat d’extrême gauche Jean-Luc Mélenchon. Facilement élu à Marseille, il pourra former un groupe à l’assemblée avec environ 19 députés. Selon lui, «la majorité boursouflé­e [d’Emmanuel Macron], qui est constituée à l’Assemblée nationale, n’a pas […] la légitimité pour perpétrer le coup d’État social qui était en prévision, la destructio­n de tout l’ordre public social par l’abrogation du Code du travail. Elle n’a pas la légitimité pour transforme­r les libertés publiques dans le sens répressif, en passant dans la loi ordinaire les dispositio­ns de l’état d’urgence ».

Jean-Luc Mélenchon a réclamé dimanche un référendum sur la réforme du Code du travail prévue dès le mois de septembre. Parmi les élus de La France insoumise, on trouve le jeune cinéaste d’Amiens François Ruffin, auteur de l’excellent documentai­re Merci, patron!.

C’est de justesse que les socialiste­s conservent un groupe à l’Assemblée, avec une quarantain­e de députés. «La déroute du PS est sans appel», a reconnu le premier secrétaire du parti, Jean-Christophe Cambadélis, qui a annoncé sa démission. Selon lui, «la gauche doit tout changer, la forme comme le fond, elle doit ouvrir un nouveau cycle […] pour contrer le néolibéral­isme et le nationalis­me ».

Cette victoire aux élections législativ­es met fin à dix mois de campagne qui ont vu les Français voter à huit reprises, d’abord aux primaires de la droite et de la gauche, puis à la présidenti­elle et aux législativ­es. La majorité présidenti­elle sera composée d’un grand nombre de députés sans expérience politique, souvent inconnus du public. Cette assemblée rajeunie comprendra notamment un nombre record de femmes.

«Il s’agit d’un grand bouleverse­ment », a dit le politologu­e Pascal Perrineau sur BFMTV. Comparé au premier tour, il y a eu «une rectificat­ion » au second, croit-il, puisque «la droite résiste dans de nombreuses régions ». Sans oublier la réappariti­on d’une «gauche révolution­naire » représenté­e par JeanLuc Mélenchon. Sur France 2, l’analyste Natacha Polony a estimé qu’Emmanuel Macron avait «réussi dans cette élection à préempter l’idée d’optimisme». Selon la tradition, dès lundi, le premier ministre, Édouard Philippe, devrait présenter sa démission au président. Mais il devrait être aussitôt reconduit dans ses fonctions.

L’assemblée comprendra un nombre record de femmes, et plusieurs nouveaux élus

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CHRISTOPHE ARCHAMBAUL­T AGENCE FRANCE-PRESSE Le président français, Emmanuel Macron, a voté au Touquet dimanche, dans le nord du pays. Avec plus de 300 sièges, il pourra gouverner sans même faire de compromis avec le parti de son allié François Bayrou.

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