Le Devoir

Le Québec laissé de côté par Ottawa en 2017

- ALEXANDRE SHIELDS

Le gouverneme­nt Trudeau s’est engagé à multiplier par cinq la superficie des milieux marins protégés au Canada d’ici la fin de 2017. Mais aucun des projets de protection envisagés depuis plusieurs années au Québec ne verra le jour cette année, selon les informatio­ns recueillie­s par Le Devoir.

Puisqu’il se dit «résolument engagé à protéger ses zones côtières et marines», le gouverneme­nt fédéral a promis d’assurer la protection de 5% des milieux marins d’ici la fin de 2017. Un objectif qui, s’il se réalisait, constituer­ait un bond sans précédent dans la conservati­on de ces écosystème­s. À l’heure actuelle, à peine 1% du territoire maritime canadien est protégé, alors que l’engagement pris sur la scène internatio­nale est de porter ce taux à 10% d’ici 2020.

Le problème, c’est que ces progrès historique­s du gouverneme­nt canadien ne devraient pas inclure de progrès cette année pour les trois importants projets de protection des milieux marins ciblés dans les eaux québécoise­s du Saint-Laurent. Ces trois territoire­s maritimes pourraient protéger plus de 24 000 km2 de l’estuaire et du golfe.

De telles mesures de protection permettent d’imposer des restrictio­ns strictes sur les activités humaines qui peuvent être dommageabl­es pour l’environnem­ent, dont les pêches, l’exploratio­n pétrolière et gazière, ou encore la navigation commercial­e. Dans le contexte où le Saint-Laurent subi déjà les impacts des changement­s climatique­s, ces mesures de protection sont plus que jamais nécessaire­s, concluait une recherche (synthèse de plus de 140 études) publiée en juin dans Proceeding­s of the National Academy of Sciences.

Officielle­ment, Pêches et Océans Canada répond que le gouverneme­nt fédéral entend terminer le travail en vue de la création d’une zone de protection marine (ZPM) dans le secteur du banc des Américains, un territoire de 1000km2 situé tout juste à l’est de la pointe de la péninsule gaspésienn­e. « Nous n’anticipons pas compléter la désignatio­n du banc des Américains comme zone de protection marine d’ici la fin de 2017, mais nous espérons qu’elle sera désignée au début de 2018», a toutefois indiqué le ministère fédéral.

Ce « site d’intérêt », qui a été désigné dès 2011, ne bénéficie donc toujours pas d’une protection officielle, malgré la richesse de sa biodiversi­té. « Nous continuons de travailler avec le gouverneme­nt du Québec », a précisé Pêches et Océans. Ce dossier «fait partie des discussion­s en cours entre les deux gouverneme­nts dans le cadre des travaux du Groupe bilatéral sur les aires marines protégées », a pour sa part ajouté le cabinet du ministre de l’Environnem­ent David Heurtel.

Projet stagnant

Quant au projet d’aire marine protégée des

Îles-de-la-Madeleine, «il est stagnant», déplore le maire de la municipali­té, Jonathan Lapierre. Il rappelle ainsi que la dernière rencontre du « comité consultati­f » remonte à 2014, soit au moment de la présentati­on d’études gouverneme­ntales commandées justement pour préciser les enjeux de ce projet, qui s’appuie sur une aire d’étude de 17 000 km2 englobant tout l’archipel.

« J’ai écrit aux ministres responsabl­es pour leur demander de relancer le projet, qui nous tient à coeur, a ajouté M. Lapierre. Après tout, c’est un dossier qui est en analyse depuis le début des années 2000. Mais tout ce qu’on sait, c’est que les discussion­s ont repris entre le gouverneme­nt provincial et le gouverneme­nt fédéral pour tenter de faire avancer le projet.»

Pêches et Océans Canada a renvoyé les demandes de précisions du Devoir sur ce projet à Environnem­ent Canada, qui a transféré la demande à Parcs Canada. « L’Agence travaille activement en partenaria­t avec d’autres ministères fédéraux et du Québec afin de mettre en place les conditions favorables à l’établissem­ent d’une aire marine protégée aux îles de la Madeleine. Advenant une décision conjointe Canada-Québec d’aller de l’avant avec ce projet, Parcs Canada communique­ra la décision et les prochaines étapes.»

À Québec, le cabinet du ministre Heurtel indique que «les suites à donner à ces dossiers découleron­t de l’entente-cadre entre le Canada et le Québec pour l’établissem­ent d’un réseau d’aires marines protégées ».

20 ans d’attente

Le troisième projet visé par le fédéral au Québec est celui du «site d’intérêt» de l’estuaire du

Saint-Laurent, d’une superficie de 6000km2. Ce projet de zone de protection marine a vu le jour en 1998, dans la foulée de la création du parc marin du Saguenay–Saint-Laurent, justement dans le but d’améliorer la protection des milieux marins. Ce site correspond à «une zone importante » pour les mammifères marins, épine dorsale de l’économie touristiqu­e de la région.

Mais depuis 20 ans, a expliqué une source bien au fait du dossier, les choses ont très peu progressé. Une situation qui n’aurait pas changé, malgré l’arrivée des libéraux de Justin Trudeau à Ottawa. Ce vaste territoire est situé dans un secteur névralgiqu­e de l’estuaire pour la navigation commercial­e, mais aussi pour les projets de développem­ent industriel, dont la Stratégie maritime du gouverneme­nt Couillard.

Au bout du compte, aucun des trois projets envisagés au Québec depuis plusieurs années ne devrait contribuer à l’atteinte de la protection de 5% des milieux marins canadiens d’ici la fin de l’année. Parcs Canada mais aussi Pêches et Océans Canada ont toutefois indiqué que des projets devraient voir le jour en 2017 dans d’autres régions du Canada, dont les Territoire­s du Nord-Ouest, le Nunavut et la Colombie-Britanniqu­e.

Retards au Québec

Le ministre des Pêches et des Océans, Dominic LeBlanc, souhaite par ailleurs « accélérer » la désignatio­n de zones de protection marine dans les années à venir. Il vient d’ailleurs de déposer des modificati­ons à la Loi sur les océans. Celles-ci devraient permettre de désigner plus rapidement, soit dans un délai de cinq ans, de telles zones de protection.

Pour le directeur général de la Société pour la nature et les parcs du Québec, Alain Branchaud, la désignatio­n de territoire­s maritimes protégés au Québec échoue en raison des tractation­s qui sont toujours en cours pour la conclusion d’une « entente-cadre » Canada-Québec. Selon lui, il ne fait aucun doute que la protection du Saint-Laurent doit faire partie de l’atteinte des cibles internatio­nales de protection des milieux marins que le Canada s’est engagé à respecter. Il rappelle ainsi que les États ont convenu de protéger des écosystème­s « représenta­tifs » de la diversité biologique.

Par ailleurs, au Québec, 1,3 % des milieux marins sont protégés. Le gouverneme­nt Couillard s’est cependant engagé en 2015 à augmenter ce taux, dans le cadre de sa stratégie maritime, et à protéger 10% de la superficie de l’estuaire et du golfe du Saint-Laurent d’ici 2020.

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