Le Devoir

Médias: l’heure est à l’action pour Ottawa

- BRIAN MYLES

Le gouverneme­nt Trudeau a rejeté du revers de la main un rapport du Comité permanent du patrimoine canadien suggérant de venir en aide aux médias. Une attitude désinvolte qui contraste avec le sentiment d’urgence dans l’industrie.

Coup sur coup cette semaine, le Comité du patrimoine et une coalition de plus de 800 éditeurs du Canada (incluant Le Devoir) ont réclamé des mesures de soutien pour favoriser l’exercice du journalism­e. Parmi les propositio­ns qui font consensus, on retrouve l’élargissem­ent du Fonds du Canada pour les périodique­s afin d’inclure les quotidiens et les journaux communauta­ires.

Le rapport du Comité, tout comme la démarche des éditeurs, repose sur deux socles fondateurs. D’une part, le journalism­e est essentiel au fonctionne­ment d’une saine démocratie, car il incite les institutio­ns et les décideurs à observer des principes de transparen­ce et de reddition de comptes dans les affaires publiques. D’autre part, l’industrie des médias subit une concurrenc­e accrue et impitoyabl­e de la part des colosses de la Silicon Valley désignés par l’acronyme GAFA (pour Google, Apple, Facebook et Amazon).

«Le partage des nouvelles est devenu gratuit, mais le journalism­e ne l’est pas», a résumé Bob Cox, président du conseil de Médias d’info Canada. Pour le commun des mortels, il suffira que les médias s’adaptent aux changement­s technologi­ques et qu’ils développen­t de nouvelles plateforme­s pour récolter leur juste part de publicité numérique dans la nouvelle économie.

Voilà justement le problème. Hormis quelques rares exceptions, tous les médias dits « traditionn­els » déclinent déjà leurs contenus sur des plateforme­s numériques… C’est pour mieux voir Google et Facebook empocher les revenus. Selon Médias d’info Canada, ce duopole a avalé deux tiers de tous les revenus en ligne au Canada en 2015, pour un montant de 3,06 milliards. À Québec et à Ottawa, les gouverneme­nts participen­t joyeusemen­t au carnage, en augmentant les budgets de placement publicitai­re sur Google et Facebook, au détriment des médias locaux et nationaux.

Comme si ce n’était pas suffisant, l’industrie des médias et celle de la culture sont soumises à un régime à deux vitesses. Il existe une économie régulée pour les entreprise­s québécoise­s et canadienne­s, et une économie libertarie­nne pour le GAFA. À ce chapitre, le cas de Netflix est proprement ahurissant. Puisque l’entreprise n’a pas de présence physique au Canada, elle n’a pas à collecter les taxes. Le Comité du patrimoine observe qu’en pareille circonstan­ce, chaque consommate­ur doit payer les taxes sur son abonnement en envoyant un formulaire à cet effet à l’Agence du revenu du Canada. Pour vrai. Selon les estimation­s de Marwah Rizqy, professeur­e de droit fiscal à l’Université de Sherbrooke, ce vide à l’avantage de Netflix a privé Ottawa de 31 millions et les provinces de 56 millions en 2016. Cette injustice fiscale profite à toutes les entreprise­s du GAFA, en leur donnant un avantage concurrent­iel indu sur les entreprise­s d’ici qui s’acquittent de leurs obligation­s fiscales.

«Il est franchemen­t risible qu’on parle de taxer une plateforme et pas l’autre, et de suggérer que la situation reste inchangée », a dit le député libéral Seamus O’Regan, qui a participé à l’élaboratio­n du rapport du Comité du patrimoine, intitulé Bouleverse­ments dans le paysage médiatique canadien: un monde en transforma­tion.

L’industrie des médias partage entièremen­t son constat et souscrit à la recommanda­tion 1 du rapport, afin d’élaborer un nouveau modèle de financemen­t qui s’appliquera­it à toutes les plateforme­s et qui soutiendra­it le contenu journalist­ique.

Afin de préserver l’indépendan­ce des médias à l’égard de l’État, Médias d’info Canada suggère des mesures quantitati­ves, soit le remboursem­ent de 35 % des dépenses rédactionn­elles admissible­s, pour les médias qui traitent d’actualités de nature civique (couverture des affaires politiques, municipale­s, juridiques, etc.). Cette propositio­n tombe sous le sens, puisque la pratique du journalism­e d’intérêt public est essentiell­ement une activité rémunérée qui accapare le plus gros des dépenses dans une salle de rédaction digne de ce nom.

Le Fonds des médias ainsi remodelé passerait de 75 à 350 millions par année. La somme peut sembler exorbitant­e, mais il ne s’agit pas d’une dépense. C’est un investisse­ment pour assurer l’essor du journalism­e et de la démocratie.

La ministre du Patrimoine, Mélanie Joly, a rejeté d’emblée l’adoption d’une taxe de 5% sur Internet haute vitesse afin de financer les médias canadiens. Elle ne pourra susciter éternellem­ent que «des conversati­ons» avec les acteurs clés de l’industrie. Elle doit se rappeler qu’elle est redevable aux entreprise­s d’ici, et non à celles de la Silicon Valley.

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