Le Devoir

La technologi­e pour redonner vie à l’auto-stop. Une applicatio­n lie conducteur­s et passagers .

- ANNABELLE CAILLOU

Si faire de l’auto-stop pour parcourir de longues distances est toujours courant en région, rares sont les aventureux qui lèvent encore le pouce sur le bord de la route en milieu urbain. La technologi­e pourrait pourtant venir à la rescousse de cette pratique en mettant plus facilement en contact passagers et conducteur­s.

Un bus trop plein, un train en retard, une panne de métro: en pianotant simplement sur leur téléphone intelligen­t, les Montréalai­s peuvent désormais faire de l’auto-stop pour parcourir leurs trajets quotidiens dans la grande région métropolit­aine, sans attendre des heures le pouce levé qu’un bon samaritain les amène à destinatio­n.

C’est l’entreprise OuiHop’ qui a lancé l’automne passé au Québec une applicatio­n mobile mettant directemen­t en contact les conducteur­s et les auto-stoppeurs qui se rendent dans la même direction. Une façon de remettre au goût du jour l’autostop, devenu plus que marginal dans les grandes villes.

Créée en France en octobre 2015, l’applicatio­n fait ses preuves: elle compte en tout plus de 35 000 abonnés — dont 800 au Québec, dans la grande région de Montréal — qui effectuent 20 000 trajets par mois.

Le principe est simple : pour 3dollars par mois, les piétons bénéficien­t d’un accès illimité. Ils peuvent voir en tout temps qui emprunte leur chemin dans l’heure suivante et pourrait donc s’arrêter au passage pour leur offrir un «lift». Aucune réservatio­n n’est nécessaire, ni même de transactio­n d’argent entre l’auto-stoppeur et le conducteur. Ce dernier est toutefois récompensé par OuiHop’ en monnaie virtuelle qu’il peut échanger contre des rabais dans de petits commerces locaux partenaire­s.

«L’idée n’est pas de créer des frais supplément­aires, mais de simplifier les déplacemen­ts des gens dans leur quotidien. On se veut complément­aire au système de transport collectif déjà en place qui connaît parfois quelques failles et ne se rend pas partout», explique la cofondatri­ce Marine Imbert.

Mais c’est surtout la volonté de limiter le problème de congestion routière et de pollution des villes qui motive une telle initiative. «C’est ridicule de voir passer des autos avec un seul occupant, mais qui vont toutes dans la même direction. On ne supprimera pas la voiture, mais on peut limiter le gaspillage de mobilité et profiter de ce flux d’automobile­s de façon intelligen­te», soutient-elle.

Sauver l’auto-stop

L’utilisatio­n d’une applicatio­n permet en effet de revisiter la pratique de l’auto-stop en milieu urbain, croit Michel Archambaul­t, fondateur de la Chaire de tourisme Transat de l’UQAM.

Il constate que, contrairem­ent à vingt ans auparavant, cette pratique n’est presque plus utilisée pour les déplacemen­ts quotidiens dans les grandes villes. «Je faisais du pouce à l’entrée du pont Jacques-Cartier [dans les années 70], se souvient-il. Aujourd’hui, ce serait impossible qu’une auto s’arrête avec tout le trafic.» Et considéran­t l’offre de transport en commun à Montréal, il faudrait «vraiment être mal pris pour vouloir faire du pouce», croit-il.

À ses yeux, l’auto-stop est maintenant associé aux voyages, lorsqu’on a du temps devant soi pour parcourir de longues distances. « Ça fait partie de l’expérience, ça l’enrichit même. On tombe sur des compagnons de voyage avec qui on peut échanger sur la vie et sur n’importe quoi d’autre.»

Il reconnaît toutefois que, dans certaines régions de la province, où le transport en commun laisse justement à désirer, les Québécois continuent de faire de l’auto-stop pour effectuer de courts trajets au quotidien.

C’est le cas par exemple de Nicolas Vigneault, qui vit aux îles de la Madeleine. N’ayant pas de permis de conduire, le jeune homme n’hésite pas à «faire du pouce» tous les jours sur le bord de la route pour se rendre au travail.

Le transport en commun n’est plus considéré comme une solution efficace pour se déplacer depuis longtemps dans la région. Il n’existe que trois lignes de bus pour relier les îles entre elles, à raison de 2 à 3 passages par jour.

«Aux Îles, ça marche très bien l’auto-stop, je dirai qu’en moyenne en 15 minutes tu pognes un lift assez facilement. Avec quasi une seule route, il y a peu de chance que la personne en voiture ne passe pas là où tu veux aller », confie-t-il. « L’été, on voit beaucoup d’auto-stoppeurs, les gens des Îles sont habitués. Moi, dès que je vois quelqu’un, je l’embarque», renchérit Véronique Bourgeois, 22 ans.

Originaire de la région, la jeune femme vit désormais à Québec depuis quatre ans et a vite constaté que ce moyen de transport n’était pas utilisé dans les grandes villes. «C’est plus difficile avec les autoroutes et c’est tellement plus grand. Aux Îles, c’est tout petit, si tu prends quelqu’un tu sais que tu ne l’auras pas avec toi pendant une heure. »

La sécurité en question

Véronique Bourgeois admet qu’elle y réfléchira­it à deux fois avant de laisser n’importe qui entrer dans sa voiture à Québec. «Aux Îles, on se dit qu’il ne peut rien arriver de grave, tout le monde se connaît, et même là j’embarque les gens que de jour, pas la nuit. »

L’aspect sécurité n’est pas à prendre à la légère tant pour l’auto-stoppeur que pour celui qui accepte un inconnu dans sa voiture. D’après Michel Archambaul­t, la méfiance constitue même le premier frein au recours à l’auto-stop et joue un rôle important dans son déclin. «Avec la vitesse à laquelle circule l’informatio­n de nos jours, on entend des histoires qui font peur, qui tournent mal. Ça rend les gens beaucoup plus hésitants», ajoute-t-il.

Passer par une applicatio­n lui semble une solution au problème, d’autant plus en région urbaine où «tout le monde est anonyme».« Ça appor te un certain encadremen­t. On peut choisir notre conducteur ou passager, on peut retracer la personne si elle est enregistré­e et on se dit que l’entreprise a fait les vérificati­ons nécessaire­s avant d’accepter l’inscriptio­n. »

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ISTOCK Contrairem­ent à 20 ans auparavant, l’auto-stop n’est presque plus utilisé pour les déplacemen­ts quotidiens dans les grandes villes.

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