Des ponts plutôt que des murs entre les « gauches québécoises »
De très nombreuses personnes, dont je suis, qui se considèrent comme étant «progressistes» et «de gauche», ne comprennent plus grand-chose aux querelles féroces, voire haineuses, qui déchirent différentes «branches» de la gauche québécoise et du mouvement progressiste québécois.
Depuis une dizaine d’années et plus, on lit ou entend des «diversitaires» (ou inclusifs) qui proclament leur mépris pour les «identitaires» ou « nationalistes », lesquels sont souvent associés, plus ou moins clairement, aux fascistes et aux racistes.
Mais enfin! Des progressistes peuvent, comme l’ont fait de grands penseurs comme Fernand Dumont ou Guy Rocher, réfléchir à l’identité mouvante ou mutante du peuple québécois, sans que cela signifie que ces personnes nient la diversité et l’ouverture à l’autre.
Seuls certains réactionnaires, enragés et déclassés, refusent de reconnaître que l’identité québécoise s’est profondément modifiée au fil des années et des décennies. Le passéisme n’a pas de place intellectuelle respectable en ce début de millénaire.
Ce qui complique le débat, selon moi, c’est l’utilisation régulière de deux concepts dont la signification reste floue, malgré de nombreux efforts explicatifs. Je pense au multiculturalisme et à l’interculturalisme.
Pendant plus de 15 ans, j’ai donné un cours de sociologie intitulé Défis sociaux et changement social. Un des thèmes abordés était celui de l’immigration et du vivre-ensemble, pour employer une expression qui, parfois, devient un cliché. Lorsque, dans les premiers cours, je demandais aux étudiants et étudiantes ce que voulait dire le mot multiculturalisme, ils me répondaient, très logiquement et de manière plutôt descriptive, que ça désignait le fait que nous vivons dans un monde pluriethnique et pluriculturel. Pourquoi pas?
Lorsque je disais qu’au Québec et au Canada, de nombreuses personnes dénonçaient le multiculturalisme canadian, britannique ou trudeauiste, cela étonnait la plupart des élèves. Lorsque je soulignais qu’en Europe, on parlait plutôt de communautarisme, la plupart trouvaient que ce mot était plus approprié que le mot multiculturalisme.
Lorsque je parlais de l’interculturalisme, lequel favorise le dialogue entre les diverses ethnies et cultures, les étudiants, très majoritairement, approuvaient ce comportement essentiel. Mais presque tous me soulignaient, sans que j’aie à le dire, que ces échanges interculturels ne doivent pas constituer un rejet de la nécessité d’un socle commun de normes, de règles, ou même de valeurs.
La crainte face à la diversité ou au pluriculturalisme ne réside pas nécessairement dans la peur de voir cohabiter des moeurs culturelles variées et diversifiées. Il s’agit plutôt de la peur de voir cohabiter, dans une même société, des systèmes culturels qui seraient incompatibles entre eux. Il s’agit aussi de la peur de vivre dans des sociétés n’ayant plus de référents communs.
Au cours des dernières années, les craintes ont surtout concerné le monde musulman, ce qui n’a jamais empêché d’importants relents d’antisémitisme ou de rejet des Noirs et d’autres groupes.
Mais nous savons, ou nous devrions savoir, que les personnes de religion musulmane sont venues vivre ici, pour la plupart, parce qu’elles acceptent très bien la «démocratie» et «nos» valeurs principales.
Les diverses composantes de la gauche devraient construire entre elles des ponts ou des passerelles plutôt que des murailles ou des murs. Stérile devient la guerre entre identitaires et diversitaires…
Des concepts comme identité ou diversité ne sont quand même pas des concepts coulés dans le béton et totalement antagonistes. Un peu de bonne volonté, au sein des forces progressistes, pourrait ouvrir des portes inédites et fertiles.