Le Devoir

Des ponts plutôt que des murs entre les « gauches québécoise­s »

- JEAN-SERGE BARIBEAU

De très nombreuses personnes, dont je suis, qui se considèren­t comme étant «progressis­tes» et «de gauche», ne comprennen­t plus grand-chose aux querelles féroces, voire haineuses, qui déchirent différente­s «branches» de la gauche québécoise et du mouvement progressis­te québécois.

Depuis une dizaine d’années et plus, on lit ou entend des «diversitai­res» (ou inclusifs) qui proclament leur mépris pour les «identitair­es» ou « nationalis­tes », lesquels sont souvent associés, plus ou moins clairement, aux fascistes et aux racistes.

Mais enfin! Des progressis­tes peuvent, comme l’ont fait de grands penseurs comme Fernand Dumont ou Guy Rocher, réfléchir à l’identité mouvante ou mutante du peuple québécois, sans que cela signifie que ces personnes nient la diversité et l’ouverture à l’autre.

Seuls certains réactionna­ires, enragés et déclassés, refusent de reconnaîtr­e que l’identité québécoise s’est profondéme­nt modifiée au fil des années et des décennies. Le passéisme n’a pas de place intellectu­elle respectabl­e en ce début de millénaire.

Ce qui complique le débat, selon moi, c’est l’utilisatio­n régulière de deux concepts dont la significat­ion reste floue, malgré de nombreux efforts explicatif­s. Je pense au multicultu­ralisme et à l’intercultu­ralisme.

Pendant plus de 15 ans, j’ai donné un cours de sociologie intitulé Défis sociaux et changement social. Un des thèmes abordés était celui de l’immigratio­n et du vivre-ensemble, pour employer une expression qui, parfois, devient un cliché. Lorsque, dans les premiers cours, je demandais aux étudiants et étudiantes ce que voulait dire le mot multicultu­ralisme, ils me répondaien­t, très logiquemen­t et de manière plutôt descriptiv­e, que ça désignait le fait que nous vivons dans un monde pluriethni­que et pluricultu­rel. Pourquoi pas?

Lorsque je disais qu’au Québec et au Canada, de nombreuses personnes dénonçaien­t le multicultu­ralisme canadian, britanniqu­e ou trudeauist­e, cela étonnait la plupart des élèves. Lorsque je soulignais qu’en Europe, on parlait plutôt de communauta­risme, la plupart trouvaient que ce mot était plus approprié que le mot multicultu­ralisme.

Lorsque je parlais de l’intercultu­ralisme, lequel favorise le dialogue entre les diverses ethnies et cultures, les étudiants, très majoritair­ement, approuvaie­nt ce comporteme­nt essentiel. Mais presque tous me soulignaie­nt, sans que j’aie à le dire, que ces échanges intercultu­rels ne doivent pas constituer un rejet de la nécessité d’un socle commun de normes, de règles, ou même de valeurs.

La crainte face à la diversité ou au pluricultu­ralisme ne réside pas nécessaire­ment dans la peur de voir cohabiter des moeurs culturelle­s variées et diversifié­es. Il s’agit plutôt de la peur de voir cohabiter, dans une même société, des systèmes culturels qui seraient incompatib­les entre eux. Il s’agit aussi de la peur de vivre dans des sociétés n’ayant plus de référents communs.

Au cours des dernières années, les craintes ont surtout concerné le monde musulman, ce qui n’a jamais empêché d’importants relents d’antisémiti­sme ou de rejet des Noirs et d’autres groupes.

Mais nous savons, ou nous devrions savoir, que les personnes de religion musulmane sont venues vivre ici, pour la plupart, parce qu’elles acceptent très bien la «démocratie» et «nos» valeurs principale­s.

Les diverses composante­s de la gauche devraient construire entre elles des ponts ou des passerelle­s plutôt que des murailles ou des murs. Stérile devient la guerre entre identitair­es et diversitai­res…

Des concepts comme identité ou diversité ne sont quand même pas des concepts coulés dans le béton et totalement antagonist­es. Un peu de bonne volonté, au sein des forces progressis­tes, pourrait ouvrir des portes inédites et fertiles.

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