Pour Londres, rien ne va plus
Près d’un an après le vote des Britanniques, les négociations sur la sortie du pays de l’UE commencent ce lundi. Les États membres, plus unis que jamais, sont en position de force.
Le Royaume-Uni va mal. À l’aube d’un tournant historique, le pays est en deuil, déchiré, sans gouvernement stable et doté d’une première ministre dont les jours à ce poste sont comptés. Les troupes britanniques sont désorganisées et tiraillées entre des factions aux vues opposées.
Au moment où le ministre chargé du Brexit, David Davis, prendra place ce lundi matin à la table des négociations face à Michel Barnier, qui représente l’Union européenne, rien ne sera clair. Certainement pas plus qu’il y a presque un an, au lendemain du référendum. Côté britannique, rien n’a bougé depuis. David Davis se dira convaincu de pouvoir conduire des négociations fructueuses. Il appellera de ses voeux la mise en place d’un nouveau type de partenariat. Mais de la forme, des détails de l’accord tel qu’il est imaginé par les Britanniques, on ne saura rien. Pour la simple raison que le gouvernement ignore luimême où il va.
Ce lundi, Theresa May sera sans doute encore à sa tête. Mais mardi, en fin de semaine, le mois prochain? Rien n’est moins sûr. Dix jours après les très mauvais résultats des élections anticipées qui l’ont privée d’une majorité absolue, la première ministre n’a toujours pas réussi à conclure un accord avec les dix députés du Parti unioniste démocrate d’Irlande du Nord (DUP). Ce qui, en soi, en dit long sur ses capacités à négocier.
Colère
Mercredi, la reine Élisabeth II doit lire devant le Parlement le programme législatif annuel élaboré par le gouvernement, qui devrait comporter plusieurs références au Brexit. Nul n’en connaît encore le contenu, mais si le texte n’est pas voté par les députés, c’en est fini de Theresa May. Pour ajouter de la complexité au tableau, les suites de l’incendie de la tour Grenfell, dans lequel 58 personnes au moins sont mortes dans la nuit de mardi à mercredi, continuent de résonner. Theresa May a été violemment critiquée pour son apparent manque d’empathie. À la peine se greffent désormais la colère et le sentiment que les gouvernements successifs, dont Theresa May a fait partie depuis 2010, ont oublié sur la route de la prospérité une frange de la population, la plus pauvre. Un bon nombre de ces personnes ont pourtant voté pour une sortie de l’UE, convaincues par les eurosceptiques que leurs maux venaient de Bruxelles. Aujourd’hui, elles doutent de plus en plus. Pour la première fois depuis le 23 juin 2016, plus de la moitié (53 %) des Britanniques souhaitent un nouveau référendum sur la teneur du Brexit. Près de 65% sont contre une sortie du marché unique, 69% contre une sortie de l’union douanière (sondage Survation pour le Mail on Sunday).
Affaiblie par son échec électoral, Theresa May, qui avait besoin d’un mandat fort pour mener les discussions avec l’UE comme elle l’entendait, aura du mal à imposer son « hard Brexit » — sortie du marché unique,
de l’union douanière et fin de la libre circulation des personnes.
Embuscade
Lors de la constitution de son gouvernement, dans un réflexe de survie, May a nommé toutes les tendances de son parti, des plus proeuropéens (comme le vice-premier ministre, Damian Green) aux plus intransigeants des brexiters (Michael Gove à l’Environnement ou Steve Baker, secrétaire d’État au Brexit). Le ministre des Affaires étrangères, Boris Johnson, en campagne continue depuis le début de sa carrière pour devenir premier ministre, s’est pour sa part fendu d’une tribune inventant une nouvelle forme de Brexit, sans plus de précisions, baptisée « open Brexit ».
Ce remaniement est une autre illustration du rejet de la politique de la première ministre: elle n’a pas pu se séparer comme prévu de son ministre des Finances, Philip Hammond, qui, lui, est pour une sortie en douceur de l’UE («soft Brexit»), avec un maintien si possible de l’accès au marché unique. Soutenu par le monde des affaires, il s’inquiète de l’impact du Brexit sur l’économie britannique. Et il a de quoi : son pays est confronté à une hausse de l’inflation plus forte que celle des salaires, un ralentissement de la consommation, une baisse de la croissance, désormais parmi les plus faibles en Europe, et ce, malgré une forte dépréciation de la livre sterling.
Comment vont réagir ces différentes factions au fil des négociations? Probablement comme toujours au sein des Tories, en se déchirant. Le Labour et Jeremy Corbyn attendent en embuscade. Ils savent que la tranche d’âge des 18-44 ans a voté en force pour rester au sein de l’UE et, aux dernières élections, ce même électorat a massivement choisi le Labour. Le Brexit pourrait bien se diluer au fil de ce long soap opera.