Hergé hors des cases à Québec
Une exposition, d’abord présentée à Paris, montre la démarche de l’artiste
Le Musée de la civilisation accueille à compter d’aujourd’hui la première grande exposition consacrée à la démarche d’Hergé en tant qu’artiste. Une exposition instructive et sympathique qui n’est présentée que pour la seconde fois dans le monde.
De son vivant, Georges Remi (Hergé) déplorait que la bande dessinée soit considérée comme un art mineur. «La bande dessinée en l’an 2000? Je pense, j’espère, qu’elle aura [enfin!] acquis droit de cité… Qu’elle sera devenue un moyen d’expression à part entière, comme la littérature ou le cinéma», confiait-il en entrevue en 1969.
Ainsi, des dizaines d’expositions ont été
présentées dans le monde sur les aventures de Tintin comme Au Pérou avec Tintin (également au Musée de la civilisation il y a dix ans). Mais il a fallu attendre l’exposition de la Fondation Hergé au Grand Palais, à Paris l’an dernier, pour qu’on se penche sur le parcours artistique de Georges Remi (1907-1983).
Calquée sur l’exposition parisienne, celle de Québec est instructive, quel que soit notre âge ou notre degré d’adoration pour l’oeuvre.
Les deux premières salles sont particulièrement réussies. Dans la première, c’est Hergé le peintre qui se dévoile à travers une série de toiles des années 1960 où l’influence de Miró notamment est manifeste.
Cet intérêt pour l’art moderne se décline ensuite à travers les oeuvres qu’il a lui-même acquises, dont une impressionnante série de Roy Lichtenstein sur la cathédrale de Rouen et le magnifique portrait d’Hergé par Andy Warhol.
Au surplus, le mérite de cette exposition est d’attirer notre attention sur des détails de la série Tintin où se révèlent les passions de son auteur. Comme cette scène anecdotique de Tintin et les Picaros où un militaire reçoit le Capitaine Haddock dans un bureau dominé par un grand tableau d’art contemporain.
L’importance du Lotus bleu
De sa passion pour l’abstraction, le père de Tintin a déjà dit qu’il s’agissait d’une forme de « compensation » pour tout le temps voué au figuratif.
Parce que le George Remi qu’on découvre dans cette exposition n’aime pas faire les choses à moitié. Ainsi, malgré son talent pour l’affiche et son intérêt pour la publicité, il laisse tout de côté pour s’investir à temps plein dans les aventures de Tintin au cours des années 1930.
Dynamique, le parcours de l’exposition est agrémenté de vidéos et de maquettes, dont cette réplique du Château de Moulinsart ou celle — originale — de la fusée d’On a marché sur la Lune.
Honnêtes, les concepteurs n’ont pas non plus passé sous silence un épisode plus embarrassant de la carrière d’Hergé, soit sa collaboration avec le quotidien Le Soir pendant l’Occupation.
Les amateurs de bande dessinée apprécieront quant à eux ses nombreux brouillons, qui permettent de mesurer la somme de travail séparant le premier jet du résultat final. Le Musée a en outre ajouté une section à l’exposition de Paris pour les jeunes, auxquels on offre un cours accéléré de conception de bande dessinée.
Mais la salle la plus intéressante est probablement celle consacrée à l’album Le Lotus bleu et l’amitié entre Hergé et Tchang Tchong-jen. Son amitié avec ce jeune Chinois, rencontré à Bruxelles en 1934, va amener Georges Remi à dépasser les clichés sur l’étranger de Tintin au Congo et lui permettre de devenir un reporter beaucoup plus intéressant à suivre.
On apprend notamment dans cette salle que toutes les calligraphies chinoises qui se trouvent dans l’album ont été réalisées par Tchang lui-même. Certaines sont de véritables perles, telles «Que la longévité soit chez vous comme avec la grue ou la tortue» ou encore « À bas l’impérialisme!».
Enfin, les concepteurs ont opté une approche antichronologique, ce qui nous fait terminer l’exposition avec les années de jeunesse de l’auteur. «Ils ne voulaient pas terminer avec sa mort, pour montrer qu’il vit toujours », a résumé l’une des responsables de la visite. Et comment !
HERGÉ À QUÉBEC
Jusqu’au 22 octobre au Musée de la civilisation