Le Devoir

L’indépendan­ce de la protectric­e de l’élève est-elle bien réelle ?

Des parents se posent la question à la suite d’une interventi­on de la CSDM

- JESSICA NADEAU

Indépendan­te, la protectric­e de l’élève? Le traitement d’un dossier litigieux à la CSDM lui a valu un blâme par le Conseil des commissair­es, dont elle relève. Depuis, elle refuse de prendre de nouveaux cas en tout point similaires, se disant «mal à l’aise» de traiter des dossiers qu’elle considère désormais comme «politiques».

Les parents, qui se sentent floués, ne pouvant être représenté­s par la protectric­e de l’élève, dénoncent le fait que celle-ci «semble muselée» par les commissair­es et réclament une interventi­on du ministre pour résoudre cet « imbroglio politique ».

Tout a débuté il y a plusieurs mois alors que des parents de Pointe-Saint-Charles ont demandé une dérogation à la Commission scolaire de Montréal (CSDM) pour envoyer leur enfant à l’école secondaire la plus proche de chez eux. Le problème étant que l’école de leur choix se situe dans la commission scolaire voisine, alors qu’euxmêmes résident sur le territoire de la CSDM.

«L’école secondaire de notre choix est à 10 minutes de trottinett­e pour mon fils, alors que l’école qui nous est assignée est à 45 minutes de transport en commun», résume Danielle Laurendeau.

Indépendan­ce

Comme plusieurs autres parents du quartier, qui se présentent sous le nom des «frontalier­s», Mme Laurendeau a fait une demande d’entente extraterri­toriale à la CSDM. Sa demande a été refusée, sous prétexte qu’elle n’avait pas suivi toutes les démarches préalables à de telles ententes.

Insatisfai­te de cette décision, Mme Laurendeau s’est tournée vers la protectric­e de l’élève, une personne qui se doit d’être neutre

et indépendan­te, et dont le mandat est d’enquêter sur les plaintes des parents et des élèves insatisfai­ts. Dans son rapport annuel, la protectric­e de l’élève de la CSDM, Louise Chenard, affirme que son indépendan­ce est l’un des principes de base qui guident sa fonction: « L’indépendan­ce se traduit par un statut: le protecteur de l’élève relève du Conseil des commissair­es et n’est pas un employé de la commission scolaire.»

Analyse «incomplète et erronée»

La protectric­e de l’élève a donc fait enquête dans le dossier de Mme Laurendeau. Dans son rapport, daté d’avril dernier, elle en vient à la conclusion que la commission scolaire a failli à sa tâche de bien informer les parents sur les règles à suivre pour effectuer une demande d’entente extraterri­toriale. De ce fait, elle recommande «dans le meilleur intérêt de l’élève de ne pas maintenir la décision […] et d’accepter la demande d’entente extraterri­toriale».

Trois dossiers similaires traités par la protectric­e de l’élève ont été présentés au Conseil des commissair­es de la CSDM le 26 avril dernier.

Les commissair­es ont accepté de se plier à ses recommanda­tions et d’accorder les ententes extraterri­toriales pour ces quatre cas. Les commissair­es ont toutefois émis leurs réserves, affirmant publiqueme­nt qu’ils souhaitaie­nt «signifier à la protectric­e de l’élève [leur] jugement selon lequel son analyse est incomplète et erronée ».

Dossier politique

Dans les jours suivants, d’autres parents, encouragés par cette petite victoire, ont déposé une plainte à la protectric­e de l’élève. Mais cette dernière a refusé de les traiter, les dirigeant vers une autre instance.

«À la lumière du Conseil des commissair­es du 26 avril, il fut convenu que toutes les nouvelles demandes de révision seraient traitées par un comité de révision formé de trois commissair­es », at-elle répondu à une autre mère frontalièr­e qui souhaitait lui soumettre son dossier.

Dans un autre courriel, dont Le Devoir a obtenu copie, elle écrit qu’elle ne peut traiter ce type de demande puisqu’il s’agit d’une « décision politique ».

Pourtant, sur le site Web de la commission scolaire, il est indiqué que la protectric­e de l’élève peut traiter «tous les cas» et que les parents ont le choix d’adresser leur plainte au Protecteur de l’élève ou de faire une demande de révision au Conseil des commissair­es. « Moi, j’ai eu le choix, je me suis adressée à la protectric­e de l’élève, qui m’a donné raison. Je trouve injuste que d’autres parents n’aient pas cette option », dénonce Danielle Laurendeau.

Pour aider les autres parents frontalier­s, celle-ci a écrit à son tour à la protectric­e de l’élève. La réponse de la protectric­e était claire : «Lors de la rencontre du Conseil, les commissair­es ont relevé que mes rapports étaient erronés et incomplets. Je ne me sens donc pas à l’aise, dans ce contexte, de faire d’autres démarches. »

Pour Danielle Laurendeau et Céline Bianchi, qui sont devenues par la force des choses les porte-parole de la cause des «frontalier­s», ça donne l’impression que le Conseil des commissair­es a réussi à « museler » la protectric­e de l’élève et à «l’empêche de faire pleinement son travail ».

Pas de réponse

Est-ce que le fait qu’elle relève du Conseil des commissair­es a joué sur sa décision ne plus prendre de dossiers jugés trop politiques et litigieux? La protectric­e de l’élève, Louise Chenard, a refusé la demande d’entrevue du Devoir, nous dirigeant vers la commission scolaire. La présidente de la CSDM, Catherine Harel Bourdon, a également refusé de répondre à nos questions.

Le service des communicat­ions de la CSDM s’est limité à une explicatio­n par courriel. « L’analyse était [partiale] du fait que la protectric­e n’a pas mesuré la portée de ses propositio­ns sur les enfants qui allaient fréquenter les écoles secondaire­s de ce quartier» puisque le fait d’avoir moins d’élèves dans une école a un impact négatif sur les cours optionnels, affirme-t-on. Mais aucune réponse sur les questions d’indépendan­ce et les raisons qui font en sorte que la protectric­e de l’élève ne prend plus aucun dossier sur les ententes extraterri­toriales depuis le blâme public du Conseil des commissair­es.

Québec

La situation est d’autant plus ironique que, il y a quelques semaines à peine, questionné par le député caquiste Jean-François Roberge, le ministre de l’Éducation, Sébastien Proulx, affirmait que les enfants n’avaient pas à être « otages de procédures administra­tives ». Il ajoutait que le fait que des parents frontalier­s aient réussi à obtenir gain de cause en passant par la protectric­e de l’élève était la preuve que «les mécanismes qui sont en place pour en appeler [d’une décision] — dont le Protecteur de l’élève — fonctionne­nt ». Or, visiblemen­t, ce mécanisme ne fonctionne plus pour certains parents, et ceuxci ont écrit une lettre au ministre le 14 juin dernier pour lui faire part de l’évolution de la situation, qu’ils jugent «fort préoccupan­te».

Le ministre n’était pas disponible mardi pour commenter le dossier.

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