L’indépendance de la protectrice de l’élève est-elle bien réelle ?
Des parents se posent la question à la suite d’une intervention de la CSDM
Indépendante, la protectrice de l’élève? Le traitement d’un dossier litigieux à la CSDM lui a valu un blâme par le Conseil des commissaires, dont elle relève. Depuis, elle refuse de prendre de nouveaux cas en tout point similaires, se disant «mal à l’aise» de traiter des dossiers qu’elle considère désormais comme «politiques».
Les parents, qui se sentent floués, ne pouvant être représentés par la protectrice de l’élève, dénoncent le fait que celle-ci «semble muselée» par les commissaires et réclament une intervention du ministre pour résoudre cet « imbroglio politique ».
Tout a débuté il y a plusieurs mois alors que des parents de Pointe-Saint-Charles ont demandé une dérogation à la Commission scolaire de Montréal (CSDM) pour envoyer leur enfant à l’école secondaire la plus proche de chez eux. Le problème étant que l’école de leur choix se situe dans la commission scolaire voisine, alors qu’euxmêmes résident sur le territoire de la CSDM.
«L’école secondaire de notre choix est à 10 minutes de trottinette pour mon fils, alors que l’école qui nous est assignée est à 45 minutes de transport en commun», résume Danielle Laurendeau.
Indépendance
Comme plusieurs autres parents du quartier, qui se présentent sous le nom des «frontaliers», Mme Laurendeau a fait une demande d’entente extraterritoriale à la CSDM. Sa demande a été refusée, sous prétexte qu’elle n’avait pas suivi toutes les démarches préalables à de telles ententes.
Insatisfaite de cette décision, Mme Laurendeau s’est tournée vers la protectrice de l’élève, une personne qui se doit d’être neutre
et indépendante, et dont le mandat est d’enquêter sur les plaintes des parents et des élèves insatisfaits. Dans son rapport annuel, la protectrice de l’élève de la CSDM, Louise Chenard, affirme que son indépendance est l’un des principes de base qui guident sa fonction: « L’indépendance se traduit par un statut: le protecteur de l’élève relève du Conseil des commissaires et n’est pas un employé de la commission scolaire.»
Analyse «incomplète et erronée»
La protectrice de l’élève a donc fait enquête dans le dossier de Mme Laurendeau. Dans son rapport, daté d’avril dernier, elle en vient à la conclusion que la commission scolaire a failli à sa tâche de bien informer les parents sur les règles à suivre pour effectuer une demande d’entente extraterritoriale. De ce fait, elle recommande «dans le meilleur intérêt de l’élève de ne pas maintenir la décision […] et d’accepter la demande d’entente extraterritoriale».
Trois dossiers similaires traités par la protectrice de l’élève ont été présentés au Conseil des commissaires de la CSDM le 26 avril dernier.
Les commissaires ont accepté de se plier à ses recommandations et d’accorder les ententes extraterritoriales pour ces quatre cas. Les commissaires ont toutefois émis leurs réserves, affirmant publiquement qu’ils souhaitaient «signifier à la protectrice de l’élève [leur] jugement selon lequel son analyse est incomplète et erronée ».
Dossier politique
Dans les jours suivants, d’autres parents, encouragés par cette petite victoire, ont déposé une plainte à la protectrice de l’élève. Mais cette dernière a refusé de les traiter, les dirigeant vers une autre instance.
«À la lumière du Conseil des commissaires du 26 avril, il fut convenu que toutes les nouvelles demandes de révision seraient traitées par un comité de révision formé de trois commissaires », at-elle répondu à une autre mère frontalière qui souhaitait lui soumettre son dossier.
Dans un autre courriel, dont Le Devoir a obtenu copie, elle écrit qu’elle ne peut traiter ce type de demande puisqu’il s’agit d’une « décision politique ».
Pourtant, sur le site Web de la commission scolaire, il est indiqué que la protectrice de l’élève peut traiter «tous les cas» et que les parents ont le choix d’adresser leur plainte au Protecteur de l’élève ou de faire une demande de révision au Conseil des commissaires. « Moi, j’ai eu le choix, je me suis adressée à la protectrice de l’élève, qui m’a donné raison. Je trouve injuste que d’autres parents n’aient pas cette option », dénonce Danielle Laurendeau.
Pour aider les autres parents frontaliers, celle-ci a écrit à son tour à la protectrice de l’élève. La réponse de la protectrice était claire : «Lors de la rencontre du Conseil, les commissaires ont relevé que mes rapports étaient erronés et incomplets. Je ne me sens donc pas à l’aise, dans ce contexte, de faire d’autres démarches. »
Pour Danielle Laurendeau et Céline Bianchi, qui sont devenues par la force des choses les porte-parole de la cause des «frontaliers», ça donne l’impression que le Conseil des commissaires a réussi à « museler » la protectrice de l’élève et à «l’empêche de faire pleinement son travail ».
Pas de réponse
Est-ce que le fait qu’elle relève du Conseil des commissaires a joué sur sa décision ne plus prendre de dossiers jugés trop politiques et litigieux? La protectrice de l’élève, Louise Chenard, a refusé la demande d’entrevue du Devoir, nous dirigeant vers la commission scolaire. La présidente de la CSDM, Catherine Harel Bourdon, a également refusé de répondre à nos questions.
Le service des communications de la CSDM s’est limité à une explication par courriel. « L’analyse était [partiale] du fait que la protectrice n’a pas mesuré la portée de ses propositions sur les enfants qui allaient fréquenter les écoles secondaires de ce quartier» puisque le fait d’avoir moins d’élèves dans une école a un impact négatif sur les cours optionnels, affirme-t-on. Mais aucune réponse sur les questions d’indépendance et les raisons qui font en sorte que la protectrice de l’élève ne prend plus aucun dossier sur les ententes extraterritoriales depuis le blâme public du Conseil des commissaires.
Québec
La situation est d’autant plus ironique que, il y a quelques semaines à peine, questionné par le député caquiste Jean-François Roberge, le ministre de l’Éducation, Sébastien Proulx, affirmait que les enfants n’avaient pas à être « otages de procédures administratives ». Il ajoutait que le fait que des parents frontaliers aient réussi à obtenir gain de cause en passant par la protectrice de l’élève était la preuve que «les mécanismes qui sont en place pour en appeler [d’une décision] — dont le Protecteur de l’élève — fonctionnent ». Or, visiblement, ce mécanisme ne fonctionne plus pour certains parents, et ceuxci ont écrit une lettre au ministre le 14 juin dernier pour lui faire part de l’évolution de la situation, qu’ils jugent «fort préoccupante».
Le ministre n’était pas disponible mardi pour commenter le dossier.