Le Devoir

Le chat, grand voyageur dans les pas des humains

Une étude paléogénét­ique retrace le parcours de ce félin, des fermes à nos canapés douillets

- DENIS DELBECQ

Comment le chat a-t-il pu conquérir le monde? Il n’était pas seul, répond une équipe internatio­nale aujourd’hui dans Nature Ecology & Evolution, sur la base d’une solide analyse paléogénét­ique de l’animal. Il se serait rapproché des premiers agriculteu­rs avant d’accompagne­r les humains dans leurs pérégrinat­ions terrestres et maritimes.

La plus ancienne relation connue entre le chat et l’homme remonte à près de 9500 ans, sur l’île de Chypre: une sépulture qui renfermait le corps d’un enfant et celui d’un chat. On sait également que le chat faisait partie de la vie quotidienn­e dans l’Égypte antique.

Comment le chat domestique s’estil répandu en Europe, en Asie et en Afrique ?

Intérêts convergent­s

Depuis 2007, les scientifiq­ues considèren­t qu’il existe cinq types de chats sauvages, des sous-espèces de Felis silvestris : F. silvestris silvestris en Europe; F. silvestris lybica dans le nord et le centre du continent africain, ainsi qu’au Proche-Orient et en Mésopotami­e ; F. silvestris cafra au sud de l’Afrique; F. silvestris ornata en Asie centrale et dans une partie de l’Inde; et F. silvestris bletti, dans le nord-ouest de la Chine et au Tibet.

Cette diversité génétique ne se retrouve pas chez les chats domestique­s : tous sont issus de la lignée lybica. «La relation qui s’est forgée entre l’homme et le chat remonte très probableme­nt à l’invention de l’agricultur­e en Mésopotami­e», avance Eva-Maria Geigl, de l’Institut Jacques Monod (Paris), principale auteure de l’étude.

«L’agricultur­e a conduit les hommes à stocker du grain, attirant toutes sortes de pestes, notamment les rongeurs. Le chat a sans doute appris à tolérer la présence humaine pour disposer de ces proies abondantes. Et les agriculteu­rs ont vite compris le bénéfice qu’ils pourraient en tirer, pour tenir à l’écart des animaux nuisibles ou dangereux, comme les rongeurs et les serpents.»

C’est probableme­nt ainsi, liés par un intérêt commun, que le chat et l’homme sont devenus si proches.

Pour construire son récit historique, le groupe d’Eva-Maria Geigl a étudié l’ADN mitochondr­ial, transmis par la mère. « C’est un bon marqueur pour les migrations de population. De plus, cet ADN est beaucoup plus abondant que celui du noyau cellulaire: on en trouve parfois des centaines de copies au sein de chaque cellule. Comme ces études portent sur de l’ADN ancien et endommagé, cela multiplie les chances d’avoir un résultat. »

Le groupe a ainsi étudié plus de 400 échantillo­ns d’ADN de chats anciens, sauvages et domestique­s, dont le plus vieux remonte à 9500 ans. «Seuls 209 échantillo­ns étaient assez bien conservés pour donner des résultats. » D’autres analyses ont porté sur 16 chats modernes.

Chats-matelots

Les chercheurs ne sont pas partis de rien. «Nous savions qu’il fallait d’abord regarder en Égypte et au ProcheOrie­nt », souligne Eva-Maria Geigl.

Ainsi Win Van Neer, de l’Université de Louvain, et coauteur de l’étude, avait-il étudié les restes d’un chat remontant à la période prédynasti­que égyptienne, vers 3700 ans avant notre ère. «Il a établi, en 2007, qu’il s’agissait d’un chat vivant en captivité, probableme­nt domestique. »

Rien ne permet de savoir si ce chat avait des origines mésopotami­ennes, ou s’il s’agissait d’un sous-type local de lybica. «En revanche, le chat retrouvé à Chypre n’est pas arrivé tout seul sur l’île », insiste Eva-Maria Geigl.

Tout comme les lybica retrouvés dans des sépultures néolithiqu­es bulgares et roumaines n’ont pu traverser le Bosphore, et pour cause: les chats ne nagent pas.

Ils ont sans doute embarqué comme passagers clandestin­s à bord de navires infestés de rats pour faire bombance. «C’est ainsi qu’on a retrouvé des restes d’un chat sauvage originaire de l’Inde dans un port romain de la mer Rouge, justifie Eva-Maria Geigl. Or les archéologu­es nous apprennent que ce port faisait du commerce avec l’Inde.»

Puis, les marins ont vraisembla­blement adopté le chat comme arme contre les rongeurs, qui dévoraient aussi les cordages, au point de menacer les embarcatio­ns mêmes. C’est d’ailleurs pour cela que, aujourd’hui encore, des marins superstiti­eux ne parlent jamais de lapin mais d’animaux à grandes oreilles ! « Je ne sais pas s’il avait mangé du lapin, mais des restes d’un lybica ont été retrouvés dans l’ancien port viking de Ralswiek, au bord de la mer Baltique. Les chats ont accompagné les marins de commerce et les guerriers. »

Les chercheurs ont fait une autre découverte clé: «Avant le XIIIe siècle, tous les échantillo­ns correspond­ent à des chats tigrés.»

Ce n’est qu’après qu’on voit apparaître des chats au pelage marbré, pourtant si fréquents aujourd’hui. La différence entre les deux ne tient qu’à un seul gène! Pour Eva-Maria Geigl, cela semble indiquer que la domesticat­ion s’est faite sur des bases de tempéramen­t, et non sur des critères esthétique­s.

« F. silvestris lybica est moins agressif que les autres chats sauvages, et notamment que l’européen F. silvestris silvestris. C’est sans doute pour cela que c’est le seul à avoir été domestiqué. »

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MICHELLE PEMBERTON THE INDIANAPOL­IS STAR Avant de devenir les vedettes d’Internet, les chats ont tissé des liens étroits avec l’être humain.

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