Le Devoir

Le chaud et le froid

- MANON CORNELLIER

Le gouverneme­nt Trudeau nous a agréableme­nt surpris en donnant son appui au projet de loi du sénateur Claude Carignan sur la protection des sources journalist­iques. En revanche, la réforme tant attendue de la Loi sur l’accès à l’informatio­n (LAI) nous laisse sur notre faim en offrant un mélange d’avancées et de reculs.

Il est rare qu’un projet de loi fasse consensus au Parlement, mais c’est ce qu’a réussi à provoquer le sénateur Carignan avec son projet de loi S231. Pour y arriver, il a mis de l’eau dans son vin, acceptant les amendement­s suggérés par le gouverneme­nt. Si les partis arrivent à s’entendre, ce qui ne s’était pas encore produit au moment d’écrire ces lignes, le projet de loi pourrait être adopté avant les vacances estivales. Quand ce sera fait, le Canada cessera d’être à la traîne de la plupart des démocratie­s occidental­es et c’en sera fini des parties de pêche policières dans les relevés téléphoniq­ues des journalist­es pour découvrir leurs sources confidenti­elles. Il est grand temps, comme nous le prouve chaque jour la commission Chamberlan­d. Protéger l’identité des sources est nécessaire pour que celles-ci acceptent, en toute confiance, de prendre le risque de révéler des agissement­s douteux des pouvoirs publics et privés.

Il est heureux que le gouverneme­nt Trudeau se soit rendu à l’évidence. Il devra toutefois faire preuve de la même ouverture d’esprit que le sénateur Carignan lorsque viendra l’étude du projet de loi C-58 modifiant la LAI, car ce projet doit être amendé.

Adoptée en 1983, la LAI n’a subi aucune mise à jour majeure en 34 ans, ce que beaucoup de gens appelaient de leurs voeux, la commissair­e à l’informatio­n Suzanne Legault la première. Malheureus­ement, malgré certaines améliorati­ons, force est de constater que le gouverneme­nt joue sur les mots pour imposer certains reculs. Il fait aussi la sourde oreille à des recommanda­tions importante­s du commissair­e.

Il lui accorde le pouvoir d’ordonner la production de documents, mais maintient toutes les exceptions et exemptions pour refuser de l’informatio­n et ne crée aucune sanction pour punir les cachottier­s. C-58 permet aussi aux ministères et aux agences de refuser les demandes jugées frivoles ou vexatoires, mais sans exiger d’eux de demander d’abord l’avis du commissair­e et sans leur imposer de délais pour rendre une telle décision.

Cette réforme comporte des pièges, y compris lorsqu’elle semble offrir des avancées. L’exemple le plus frappant est l’ajout d’une section complète sur la divulgatio­n proactive d’informatio­n par des organisati­ons qui ne sont pas visées par la loi actuelle, dont les cabinets ministérie­ls — une promesse électorale. On peut donc parler de progrès.

Il y a cependant un très gros hic. À la suite d’une décision de la Cour suprême, certains documents, comme les cahiers de breffage des ministres, sont actuelleme­nt considérés comme des documents du ministère et peuvent faire l’objet d’une demande d’accès, laquelle peut donner lieu à une plainte au commissair­e si, par exemple, on n’y répond pas dans les 30 jours. À l’avenir, ces cahiers devront être rendus publics de façon automatiqu­e, mais dans des délais plus longs.

Il y a pire. Cette nouvelle section ne prévoit aucun recours si la divulgatio­n proactive est ignorée ou si les documents sont caviardés en invoquant les exceptions et exemptions prévues ailleurs dans la loi. Le commissair­e n’y pourra rien, car le projet de loi refuse explicitem­ent au commissair­e le pouvoir d’intervenir pour appliquer la nouvelle section.

Le projet C-58 ignore l’esprit de la promesse libérale. Des amendement­s de fond s’imposent pour en corriger les défauts. L’accès à l’informatio­n est un droit quasi constituti­onnel ; il serait mal venu de s’en moquer de la sorte.

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