Le Devoir

Le Québec se donnera-t-il les moyens de ses ambitions?

Québec s’engage à faire passer le taux de diplomatio­n de 74 à 85 % d’ici 2030

- MARCO FORTIER

Les objectifs sont ambitieux. Il reste à voir comment ils seront mis en oeuvre. Le gouverneme­nt Couillard s’engage à placer le Québec parmi les champions de la diplomatio­n en Amérique du Nord par une série de «chantiers» étalés jusqu’en 2030.

La politique de réussite éducative, dévoilée en grande pompe dans une école de Québec, mercredi, vise notamment à augmenter le taux de diplomatio­n des jeunes de moins de 20 ans, à diminuer le taux d’analphabét­isme des adultes — qui s’élève à 53% — et à renforcer l’autonomie des enseignant­s.

Le lancement de cette politique ambitieuse, devant 200 personnali­tés du milieu de l’éducation, a été accueilli par des applaudiss­ements et des haussement­s d’épaules. Les objectifs du gouverneme­nt sont louables, mais la mise en vigueur de la politique repose sur une série de «plans d’action», de «stratégies», de «tables de concertati­on » et de « chantiers » étalés sur les treize prochaines années, ont souligné des observateu­rs du monde de l’éducation.

Pour atteindre ces cibles, le ministre de l’Éducation, Sébastien Proulx, s’engage notamment à «réviser le modèle de financemen­t» des élèves handicapés ou en difficulté d’apprentiss­age ; à «établir un seuil minimal de services spécialisé­s » dans les écoles; et à «favoriser la contributi­on » des écoles privées aux efforts pour l’intégratio­n des élèves handicapés ou en difficulté d’apprentiss­age.

La politique est muette sur les façons d’atteindre ces objectifs. Le gouverneme­nt renonce aussi à créer un ordre profession­nel des enseignant­s — Québec s’engage à « consulter l’Office des profession­s» au sujet de la création d’un ordre des orthopédag­ogues — et « analysera l’opportunit­é de rendre l’école obligatoir­e jusqu’à 18 ans ».

Les bons coups

Le ministre Sébastien Proulx a bien fait ses devoirs et a réussi le test avec sa politique, estime Égide Royer, professeur associé à la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université Laval. «C’est susceptibl­e d’améliorer d’ici cinq ans le taux de diplomatio­n au Québec, et si c’est implanté comme du monde, avec les mesures qui nous manquaient, on sera probableme­nt capables de rejoindre d’ici une dizaine d’années les meilleurs systèmes d’éducation en Amérique du Nord », a réagi le chercheur, rencontré au dévoilemen­t de la politique, mercredi.

La création annoncée d’un Institut national d’excellence en éducation est un des bons coups du gouverneme­nt, estime Égide Royer. Cet organisme, qui sera dirigé par le professeur Martin Maltais, de l’Université du Québec à Rimouski, se veut un rouage important de la mise en place de la politique de réussite éducative.

Égide Royer salue aussi l’énergie mise sur l’interventi­on le plus tôt possible dans la vie des tout-petits, pour qu’ils sachent lire et écrire après la deuxième année du primaire. Le ministre Proulx, qui a la double responsabi­lité de l’Éducation et de la Famille, compte ainsi poursuivre le déploiemen­t des maternelle­s 4 ans, en parallèle avec les services de garde.

Le professeur Royer souligne aussi que la politique évoque l’augmentati­on du taux de diplomatio­n (sans tenir compte des simples qualificat­ions, qui ne sont pas un diplôme) de 74% à 85% d’ici 2030. «On a cessé de compter des diplômes qui n’en sont pas », dit-il.

L’objectif d’augmenter de cinq points de pourcentag­e la part de la population adulte du Québec qui sait lire et écrire de façon compétente (proportion qui s’établit à 47% à l’heure actuelle) est aussi une nécessité, croit Égide Royer.

Pelletage de problèmes

Les partis de l’opposition ont fait valoir de leur côté que le ministre Proulx reporte sur un horizon de treize ans toutes les solutions aux problèmes de l’éducation. «Nos attentes étaient très élevées. On espérait du concret, mais on ne nous a même pas présenté la politique», a réagi Alexandre Cloutier, du Parti québécois.

La politique passe sous silence les inégalités flagrantes entre les écoles privées subvention­nées, les écoles publiques qui sélectionn­ent leurs élèves et les écoles publiques ordinaires, qui se démènent pour éduquer les enfants les plus poqués. «Le Conseil supérieur de l’éducation a révélé que le Québec a le système d’éducation le plus inégalitai­re au Canada», dit le député péquiste.

Ce regain d’intérêt envers l’éducation paraît suspect après les compressio­ns des trois dernières années. «Le gouverneme­nt nous refait le coup de 2014. On recycle les thèmes de la campagne électorale et du discours inaugural qui avait lancé le mandat des libéraux», dit Jean-François Roberge, de la Coalition avenir Québec.

Gabriel Nadeau-Dubois, de Québec solidaire, estime que «plusieurs des intentions affichées semblent nobles », mais que «des zones d’ombre inquiétant­es demeurent dans cette politique ». « Les promesses de jours meilleurs à venir en éducation tomberont à plat si les ressources humaines et matérielle­s nécessaire­s ne sont pas réinvestie­s.»

Enseignant­s et examens

Le gouverneme­nt s’est engagé dans le budget déposé au printemps à réinvestir 1,8 milliard de dollars sur cinq ans en éducation, a rappelé le premier ministre Philippe Couillard. « Il y a des moyens avec cette politique. Ce n’est pas une politique de voeux pieux», a-t-il dit aux journalist­es.

Les syndicats d’enseignant­s, de leur côté, comptent talonner le gouverneme­nt pour qu’il traduise en actions ses engagement­s de « valoriser la profession d’enseignant» et de renforcer l’autonomie profession­nelle des professeur­s.

La Fédération des établissem­ents d’enseigneme­nt privés demande la mise sur pied sans délai d’un comité pour revoir la façon d’évaluer les apprentiss­ages. «Les incidents qui ont marqué les périodes d’épreuves ministérie­lles au cours des dernières années» rappellent l’urgence de réviser l’évaluation, comme le prévoit la politique du ministre Proulx, croit la Fédération. Elle souhaite une réflexion sur le nombre d’épreuves au primaire et au secondaire, la mise en place d’examens en format numérique pour l’ensemble des élèves et la formation des enseignant­s en matière d’évaluation des élèves.

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JACQUES BOISSINOT LA PRESSE CANADIENNE Le premier ministre Philippe Couillard accompagna­it son ministre de l’Éducation, Sébastien Proulx, dans une école de Québec pour l’annonce de la politique québécoise en matière de réussite scolaire.
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