Le Devoir

Le Sénat retarde les vacances des élus

- HÉLÈNE BUZZETTI Correspond­ante parlementa­ire à Ottawa

Les fins de séance au Parlement se suivent et se ressemblen­t à Ottawa. Cette année encore, la Chambre des communes attend de voir ce que le Sénat décidera avant de partir en vacances l’esprit en paix.

Le gouverneme­nt de Justin Trudeau aimerait voir son projet de loi budgétaire adopté avant le congé parlementa­ire estival. Or le Sénat a modifié cette semaine C-44 pour en retirer l’indexation automatiqu­e des taxes d’accise sur l’alcool et les produits du tabac. Ces taxes sont haussées régulièrem­ent dans les budgets — fédéraux comme provinciau­x — parce qu’elles prennent la forme d’un montant fixe plutôt que d’un pourcentag­e.

Le budget libéral les hausserait de 2% cette année et instaurera­it une indexation selon le niveau de l’inflation tous les 1er avril à compter de 2018.

Une majorité de sénateurs s’opposent à cette « taxe ascenseur», estimant que le gouverneme­nt devrait avoir le courage d’augmenter lui-même les taxes et d’en assumer le prix politique chaque année qu’il le fait. Le Sénat a donc amendé le projet de loi C-44, qu’il a ensuite renvoyé à la Chambre des communes.

Mais voilà: la Chambre des communes estime qu’elle seule a l’autorité de modifier des projets de loi budgétaire­s. Aussi, mercredi en fin de journée, la leader en Chambre du gouverneme­nt, Bardish Chagger, a fait savoir par motion au Sénat que ses amendement­s étaient refusés «parce qu’ils enfreignen­t les droits et privilèges de la Chambre». Les sénateurs décideront jeudi s’ils tiennent tête aux élus en restaurant leurs amendement­s ou s’ils abdiquent.

Dans les coulisses, on prédit que l’entêtement est plus probable. Les sénateurs acceptent mal de se faire dire qu’ils n’ont aucune latitude en matière financière. Car, alors, un gouverneme­nt aurait beau jeu d’utiliser des projets de loi budgétaire­s fourre-tout pour garantir l’adoption automatiqu­e de toutes ses lois au Sénat. «C’est devenu une bataille constituti­onnelle », explique une source.

Le hic, c’est que la Chambre des communes a ajourné ses travaux pour l’été mercredi soir. En soirée, la ministre Chagger a déclaré par écrit qu’elle ne rappellera­it pas les élus avant la date prévue du 18 septembre, une façon détournée de mettre les sénateurs au défi de continuer leur contestati­on. S’ils modifient à nouveau le C-44, alors le budget ne pourra être mis en oeuvre avant l’automne : un projet de loi doit être adopté dans une version identique dans les deux chambres pour entrer en vigueur.

C’est justement sur une partie de ping-pong parlementa­ire similaire que la séance avait pris fin en juin l’an dernier. Les sénateurs contestaie­nt le projet de loi sur l’aide médicale à mourir, qui devait être adopté le plus vite possible à cause d’un vide juridique créé par la date butoir imposée par la Cour suprême. Les sénateurs contestaie­nt le critère de «mort raisonnabl­ement prévisible» instauré pour se qualifier à cette aide terminale.

Devant le refus de la Chambre des communes d’adopter leur changement, ils avaient finalement plié, invoquant la légitimité démocratiq­ue supérieure des députés.

Les sénateurs digèrent mal de se faire dire qu’ils n’ont aucune latitude en matière financière

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