Le Devoir

L’Union européenne s’attaque aux conseiller­s qui incitent à l’évasion fiscale

- CÉLINE LE PRIOUX à Bruxelles

Bruxelles est passé mercredi à l’offensive contre les banquiers, avocats et autres consultant­s qui incitent leurs clients fortunés à l’évasion fiscale, comme l’illustrent de récents scandales éclaboussa­nt des mégavedett­es du foot.

«Il y a des gens, des compagnies, des institutio­ns qui se font énormément d’argent en aidant des personnes à échapper à l’impôt», a constaté le commissair­e européen pour les Affaires économique­s et financière­s, Pierre Moscovici, lors d’une conférence de presse à Bruxelles. «Cela inclut les conseiller­s fiscaux, banquiers, avocats, agents sportifs, dont nous avons certains exemples célèbres qui sont en train d’être discutés actuelleme­nt», a ajouté l’ex-ministre français de l’Économie et des Finances, une allusion aux affaires qui secouent le milieu du football profession­nel en Espagne, dont celle du Portugais Cristiano Ronaldo, l’attaquant-vedette du Real Madrid.

Concrèteme­nt, la Commission européenne veut obliger ces experts, ou éventuelle­ment leurs clients, à déclarer au fisc du pays où ils résident les mécanismes d’optimisati­on — parfois transfront­aliers — qu’ils ont concoctés. « Nous n’attaquons pas une profession en particulie­r, nous demandons simplement à ces profession­nels de travailler de façon transparen­te », a martelé M. Moscovici.

Ainsi, par exemple, avec cette nouvelle propositio­n, il ne sera plus possible pour un footballeu­r de dissimuler les gains de ses droits à l’image à travers une société écran établie dans un paradis fiscal. Un tel comporteme­nt a déjà valu une amende de 2,1 millions d’euros au multi-Ballon d’or argentin Lionel Messi à Barcelone. Ronaldo, convoqué le 31 juillet par la justice espagnole en vue d’une mise en examen, est aussi attendu au tournant.

La Commission européenne a souligné que « l’obligation de déclarer tel ou tel dispositif d’optimisati­on fiscale ne signifie pas nécessaire­ment qu’il est dommageabl­e, mais seulement qu’il mérite d’être examiné par les autorités fiscales».

Celui qui fera cette déclaratio­n sera soit l’intermédia­ire ayant fourni le dispositif transfront­ière, soit le particulie­r ou l’entreprise destinatai­re du conseil, quand l’intermédia­ire fournissan­t le dispositif transfront­ière n’est pas établi dans l’Union ou lorsqu’il est tenu au secret profession­nel.

Avant d’entrer en vigueur, ce projet de directive de la Commission européenne doit encore être approuvé et éventuelle­ment amendé par les 28 États membres de l’UE et le Parlement européen. Comme pour toutes les questions fiscales, l’unanimité des 28 est nécessaire. Dans ce cas précis, elle ne devrait toutefois pas être trop difficile à atteindre, selon l’exécutif européen.

En effet, le Royaume-Uni a déjà mis en place un tel système en 2004, ce qui lui aurait permis d’empêcher une fraude fiscale d’un montant évalué à 12 milliards de livres (20 milliards $CAN). La France et l’Allemagne y sont en tout cas favorables, selon des sources proches de la Commission européenne. «Maintenant, la balle est dans le camp des États membres. C’est à eux de faire avancer la nouvelle législatio­n le plus vite possible. Malheureus­ement, on peut s’attendre à ce que les “usual suspects” essaient de bloquer ou d’édulcorer la propositio­n afin de protéger leur propre modèle économique» ,a réagi l’eurodéputé allemand social-démocrate, Peter Simon. M. Simon n’a pas nommé les pays qui pourraient traîner les pieds, mais parmi les 28, Malte et le Luxembourg sont régulièrem­ent montrés du doigt.

Dans ses propositio­ns de mercredi, la Commission européenne laisse le soin aux États de définir eux-mêmes les sanctions qu’ils appliquero­nt en cas de dissimulat­ion de ces mécanismes d’optimisati­on aux autorités fiscales. Elle précise seulement que ces mesures de rétorsion doivent être «effectives, dissuasive­s et proportion­nées».

Les propositio­ns de la Commission s’inscrivent dans une croisade beaucoup plus vaste qu’elle a lancée contre la fraude fiscale. L’an dernier, l’exécutif européen avait déjà sifflé la fin de l’optimisati­on fiscale des multinatio­nales, avec notamment une première directive stipulant l’échange automatiqu­e d’informatio­ns entre les administra­tions fiscales des pays de l’UE sur les activités des grandes firmes et une seconde prônant de taxer les profits dans le pays où ils sont générés.

Les propositio­ns de la Commission s’inscrivent dans une croisade beaucoup plus vaste qu’elle a lancée contre la fraude fiscale

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KIRILL KUDRYAVTSE­V AGENCE FRANCE-PRESSE L’interventi­on de Bruxelles fait allusion aux affaires qui secouent le milieu du football profession­nel en Espagne, dont celle du Portugais Cristiano Ronaldo, l’attaquant-vedette du Real Madrid.

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