Le Devoir

Une grande fresque portée à la postérité

La diaspora des Desrosiers réunie dans un tout pour les 75 ans de Michel Tremblay

- FABIEN DEGLISE

C’est une consécrati­on qui tient désormais en 1400 pages. En marge des 75 ans du romancier et dramaturge Michel Tremblay, qu’il va célébrer ce dimanche, La diaspora des Desrosiers, fresque littéraire dans le Montréal de l’avant-Deuxième Guerre mondiale, va être rééditée la semaine prochaine dans la collection «Thesaurus» qui rassemble dans un tout les neuf bouquins composant cette oeuvre totale. Une oeuvre culturelle­ment ancrée dans un Québec et un Canada surannés, mais qui, comme le reste des univers mis au monde par Michel Tremblay, a ce fort potentiel de rayonner bien au-delà du temps tout comme de nos frontières.

« La diaspora des Desrosiers a un caractère universel qui tient dans le fait qu’elle est constituée de romans-mondes», résume Marc Arino, professeur de lettres et sciences humaines à l’Université de la Réunion et spécialist­e internatio­nal de l’oeuvre de Michel Tremblay.

«Chaque livre concurrenc­e l’état civil du Québec, mais ancre également leurs univers dans les mythes et les légendes qui visent à expliquer qui est l’humain, d’où il vient et où il va.»

Amorcée en 2007 avec La traversée du continent, l’ensemble littéraire, complément­aire des six Chroniques du Plateau-Mont-Royal, plonge dans le passé de Rhéauna, surnommée Nana, cette Grosse Femme d’à côté, et ce, de son enfance en 1913 dans les campagnes de la Saskatchew­an à l’automne 1941 à Montréal dans les années qui ont précédé la naissance Jean-Marc, l’alter ego romanesque de Tremblay. Au-delà des figures maternelle­s — l’arrière-grand-mère Joséphine et la grand-mère Maria de Providence sont aussi convoquées dans cette saga —, l’oeuvre entre dans la vie du reste de la tribu, Méo, Ernestine, Rose, Ernest et les autres, en transporta­nt le lecteur à Regina, Winnipeg, Ottawa ainsi que dans le village de Duhamel dans les Laurentide­s.

«Chaque texte fait le foyer sur une expérience humaine particuliè­re et sur les personnage­s qui gravitent autour, explique à l’autre bout du fil Micheline Cambron, du Centre de recherche interunive­rsitaire sur la littératur­e et la culture québécoise (CRILCQ), qui connaît l’univers romanesque de Michel Tremblay sur le bout des doigts. La diaspora des Desrosiers a quelque chose de singulier avec ses représenta­tions microcosmi­ques qui ne tiennent pas de la représenta­tion chorale habituelle chez lui. L’auteur a toujours exposé une très grande affection pour ses personnage­s, mais cette affection est encore plus explicite ici et donne la possibilit­é au lecteur de s’identifier à eux, sans se sentir jugé, ce qui n’est pas si commun.»

L’affection en attire une autre, et la publicatio­n de ce Thesaurus, une coédition de Leméac et Actes Sud, tient d’ailleurs de l’attachemen­t collectif, ici comme ailleurs dans la francophon­ie, à ces romans et forge une reconnaiss­ance que peu d’auteurs ont obtenue à date, faute d’une oeuvre assez consistant­e et cohérente pour le faire. Rappelons que les Chroniques du Plateau-Mont-Royal ont eu droit à ce même traitement en 2005. « Rares sont les auteurs qui arrivent jusque-là, poursuit Mme Cambron. Gabrielle Roy a eu ce traitement.» «Plus qu’une simple compilatio­n, la publicatio­n des neuf livres de La diaspora des Desrosiers témoigne aussi du fait que le cycle qu’il représente est terminé», comme l’a d’ailleurs clairement indiqué Michel Tremblay dans les premières pages de La traversée du malheur, dernier chapitre de l’oeuvre, publié en 2015. Nana et Gabriel y étaient éprouvés par la mort de leurs deux aînées. La faute à la tuberculos­e et à leur incapacité d’avoir accès à la pénicillin­e, réservée à l’époque aux militaires.

Le bouquin apportait ce point final à un tout composé, avec La traversée du continent comme point de départ, de La traversée de ville, La traversée des sentiments, Le passage obligé, La grande mêlée, Au hasard de la chance, Les clefs du Paradise et Survivre! Survivre!. Dans ces récits, les personnage­s, à l’image des grands romans d’apprentiss­age, partent à la découverte du monde, mais surtout à la rencontre d’eux-mêmes.

Un romancier flatté

Joint par Le Devoir cette semaine, Michel Tremblay s’est dit flatté par cette réédition dans un format dont beaucoup de romanciers rêvent. « Une saga publiée en un seul volume donne toujours à son auteur une agréable impression d’accompliss­ement, dit-il. Je me suis rendu au bout. Ça existait en pièces détachées pendant que je le faisais et voilà que ça revit en un unique morceau.»

Un morceau d’histoire et de patrimoine qui se dévoile, estime Mme Cambron, sans jamais donner l’impression au lecteur qu’il entre dans des romans historique­s et en ouvrant désormais aux nouvelles génération­s cette fenêtre nécessaire sur un passé commun. « Quand Michel Tremblay a commencé à écrire, ses lecteurs étaient dans son monde, dit l’universita­ire. Aujourd’hui, plusieurs composante­s de ce passé ont besoin d’être un peu plus expliquées, ce qu’il fait d’ailleurs très bien dans La diaspora des Desrosiers.»

Au coeur des mutations sociohisto­riques qui ont marqué le Québec et le Canada durant le XXe siècle, fait remarquer Marc Arino, l’oeuvre de Michel Tremblay témoigne de plusieurs thèmes universels, ceux du secret, de la confession, de la transgress­ion, de la culpabilit­é, même si, pour l’auteur, il s’agit surtout d’une façon de se raconter pour mieux se connaître, comme individu et comme groupe.

«Il est important de visiter notre passé récent, dit Michel Tremblay. Qui était là juste avant nous? Qui étaient ceux qui nous ont formés, dans quoi vivaient-ils, quitte à inventer les bouts qui nous manquent?» soulève l’auteur de La diaspora des Desrosiers qui, à quelques jours d’un anniversai­re qui va marquer son inscriptio­n dans trois quarts d’un siècle, pourrait aller chercher un peu de jeunesse étant replongé par l’apparition de ce Thesaurus dans les années lointaines qui ont précédé son enfance.

«Je n’avais jamais envisagé les choses comme ça, dit le septuagéna­ire. Mais dans mon cas, il n’y a rien qui me donne l’impression de garder ma jeunesse… Hélas! »

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ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR L’écrivain Michel Tremblay

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