Le Devoir

Trouver une famille à un enfant et non l’inverse

- SARAH R. CHAMPAGNE

En 2015 et 2016, l’adoption internatio­nale au Québec a atteint son plus bas niveau depuis 25 ans, même si autant de parents ont le désir d’adopter. Ce sont des irrégulari­tés qui ont forcé plusieurs pays à resserrer leurs règles. Ce resserreme­nt du cadre légal constitue un aveu des dérives antérieure­s pour Marie-Laurence Laflamme, travailleu­se sociale spécialisé­e dans l’adoption. Surtout, il reste insuffisan­t pour protéger les enfants, plaide-t-elle en appelant le Secrétaria­t à l’adoption internatio­nale (SAI) à exercer davantage de contrôle.

En plus de son expérience profession­nelle, d’un mémoire de maîtrise sur la quête identitair­e de jeunes Haïtiens, elle base aussi son opinion sur sa propre adoption. Marie-Laurence avait presque 9 ans quand elle a atterri dans sa

famille d’adoption en Beauce. La fillette arrivait d’Haïti, où l’extrême pauvreté avait poussé ses parents à la placer en adoption.

Comme nombre de Haïtiens dans les années 1980 et 1990, ses parents biologique­s l’ont mise en adoption en ayant la conviction qu’elle reviendrai­t. «Ils avaient l’impression de faire un “investisse­ment” et que l’enfant reviendrai­t les aider à ses 18 ans. C’est ce qu’on leur avait promis », relate-t-elle. Son histoire fait écho à celle de Christine et Bernard Thérien, eux aussi adoptés au début des années 1990: leur mère a été persuadée par de «bons samaritain­s», comme les appelle Christine, que l’adoption « sauverait » la santé de ses enfants. Mais elle ignorait que les liens seraient coupés totalement et définitive­ment.

Ce grave problème de consenteme­nt non éclairé a été dénoncé dès 2005 par l’UNICEF. Un rapport accablant qualifiait de commerce illicite ce genre de stratagème: deux experts y écrivaient que l’adoption n’était pas justifiée pour la majorité des enfants haïtiens. Les crèches empochaien­t en effet d’importante­s sommes d’argent pour des enfants, cherchés «sur commande» sans dire explicitem­ent aux parents qu’il s’agissait d’une adoption « plénière », qui rompt tout lien de filiation.

Remonter tous les maillons de la chaîne

«Ils ont fait en sorte que je sois “adoptable” aux yeux de la loi, ils ont construit une petite boîte administra­tive autour de moi», résume crûment Marie-Laurence Laflamme.

Au Québec, le SAI, instance chargée des adoptions internatio­nales, a commencé à se pencher plus sérieuseme­nt sur ces dénonciati­ons en 2009, expose son ancienne directrice générale, Luce de Bellefeuil­le. «Oui, on était au courant des lacunes dont vous parlez. Toute la communauté internatio­nale a essayé de travailler avec les crèches», affirme celle qui a publié le livre Les arrière-boutiques de l’adoption internatio­nale en 2016.

Après le séisme dévastateu­r de 2010, l’ampleur des irrégulari­tés et du trafic d’enfants était si alarmante que le SAI a suspendu l’adoption internatio­nale durant plus de deux ans.

Depuis, en 2013, Haïti a signé la Convention de La Haye sur la protection des enfants et la coopératio­n en matière d’adoption internatio­nale. Le pays est donc tenu de respecter un cadre plus strict. À lui aussi de mettre en place «le dispositif nécessaire pour s’assurer que le consenteme­nt a été donné librement par les parents biologique­s », a indiqué une relationni­ste au Devoir.

Dans le cas haïtien, le SAI s’en remet donc en grande partie à l’autorité centrale en la matière, l’Institut du bien-être social et de recherches (IBESR). Une façon de respecter la compétence d’un pays sur sa population, rappelle Mme de Bellefeuil­le.

L’IBESR soumet des « propositio­ns d’enfants de n’importe quelle crèche habilitée» aux deux organismes agréés par le SAI pour le Québec. Ces organismes font la liaison avec les parents adoptants.

Marie-Laurence Laflamme s’inquiète que les deux organisati­ons en question soient les mêmes qu’à l’époque des adoptions bâclées. Elle considère que le SAI assume ses responsabi­lités de manière trop « timide ».

Comme l’équipe actuelle du Secrétaria­t, Mme de Bellefeuil­le assure que les situations évoquées ont été «largement corrigées aujourd’hui ». Mais d’intermédia­ire à intermédia­ire, les instances engagées dans l’adoption se renvoient la balle. «C’est difficile de savoir qui est réellement responsabl­e de ces mensonges dans tout ce cirque», soupire Christine Thérien, adoptée au Québec en 1991.

Le fil brisé

Les problèmes ne sont pas exclusifs à Haïti. Mais les quêtes des origines de plus en plus fréquentes pourraient révéler beaucoup d’autres dérives. Les demandes de retrouvail­les auprès du SAI ont en effet explosé en 2016, en plus de celles entamées sous impulsion personnell­e à travers les réseaux sociaux, par exemple.

Un bon moment pour remettre en question ce modèle et y placer les besoins de «l’adopté» au centre. «J’ai encore l’impression qu’ils trouvent un enfant pour une famille plutôt qu’une famille pour un enfant », réitère la travailleu­se sociale.

Pourquoi ne pas considérer une adoption «simple», dans laquelle les liens sont conservés avec la famille d’origine ? Il faut au moins faciliter la possibilit­é de retrouver les parents biologique­s: «On peut donner à l’enfant l’option de cette quête des origines! Il choisira un jour par lui-même. Sinon, ça n’a pas de sens de dire qu’on travaille dans l’intérêt de l’enfant. »

Les « adoptés » se sentent souvent « entre deux chaises», constate-t-elle. Contrairem­ent aux immigrants, ils ne connaissen­t rien du pays où ils sont nés. Ils évoquent néanmoins en majorité un « vide », une vie « pas groundée », décrit-elle.

La scission est douloureus­e entre l’identité à laquelle ils sont sans cesse renvoyés, surtout par leur apparence physique, et celle ressentie, très « québécoise ». Une des avenues pour réconcilie­r ces identités est d’offrir de remonter la filiation biologique.

Et ce n’est pas une question d’amour ou de désamour des parents adoptifs! «On me dit souvent “C’est comme si je l’avais porté neuf mois!” C’est rose, c’est beau, mais ce n’est pas assez. On n’est pas des objets. Oui, le petit être humain a besoin d’amour, mais il a besoin d’ouverture », conclut-elle. Elle rêve maintenant que des services spécialisé­s pour les personnes adoptées se multiplien­t et se regroupent sous un même toit.

 ?? JACQUES NADEAU LE DEVOIR ?? Marie-Laurence Laflamme a été adoptée alors qu’elle avait neuf ans. Ses parents biologique­s, restés en Haïti, croyaient que leur fille leur reviendrai­t à ses 18 ans.
JACQUES NADEAU LE DEVOIR Marie-Laurence Laflamme a été adoptée alors qu’elle avait neuf ans. Ses parents biologique­s, restés en Haïti, croyaient que leur fille leur reviendrai­t à ses 18 ans.

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