Le Devoir

Fin de session parlementa­ire acrimonieu­se à Ottawa

Le printemps aura été riche en querelles, freinant l’adoption de nombreux projets de loi

- MARIE VASTEL Correspond­ante parlementa­ire à Ottawa

Des députés moins patients, des querelles sur le moindre sujet, des laïus partisans à toutes les sauces. La Chambre des communes devient toujours la scène d’affronteme­nts quotidiens à la veille des vacances estivales en juin. Mais, cette semaine, les élus en sont même venus à se tirailler sur la nomination du greffier des Communes… Symbole, s’il en est un, de l’acrimonie qui aura été à son comble cette année. La Chambre basse aura davantage été l’arène de querelles partisanes que celle de réflexions législativ­es. Ce qui explique peut-être le maigre bilan législatif du gouverneme­nt Trudeau. Retour sur une session marquée par la zizanie.

Toutes les raisons étaient bonnes, ce printemps, pour ralentir les travaux du gouverneme­nt en se lançant dans de grandes tirades partisanes. Un débat sur la politique étrangère qu’adoptera le gouverneme­nt libéral à l’avenir? Le conservate­ur Garnett Genuis en a profité pour livrer un discours-fleuve de 2 heures 20 minutes… alors que la réplique habituelle, lors de ce genre de débats, en est une d’une vingtaine de minutes.

Un débat sur l’Accord de Paris concernant la lutte contre les changement­s climatique­s cette fois-ci? Le conservate­ur Pierre Poilievre a prononcé un discours de 40 minutes, au cours duquel il a déploré, ad nauseam, que le gouverneme­nt ne révèle pas la facture qu’atteindra sa taxe sur le carbone pour les contribuab­les.

Les libéraux auraient peut-être dû se douter qu’ils passeraien­t un mauvais quart d’heure ce printemps, lorsque, déjà au mois de mars, l’opposition avait retardé le dépôt de son budget. Les mois qui ont suivi ont vu se succéder toutes sortes de manoeuvres du même genre: rappels au règlement, questions de privilège invoquées d’urgence aux Communes, votes superflus réclamés à la moindre occasion et tenus au ralenti. La collaborat­ion était inexistant­e entre l’opposition et le gouverneme­nt. Dès que possible, les rivaux des libéraux faisaient de l’obstructio­n aux Communes ou en comité parlementa­ire.

C’est la faute des libéraux, arguent conservate­urs et néodémocra­tes. Car le gouverneme­nt s’est montré arrogant en proposant, sans consulter l’opposition, de modifier les règles de la Chambre. L’an dernier, les Communes avaient vécu la même crise après que les libéraux eurent tenté de faire adopter — avant de reculer — leur motion 6, qui leur aurait donné le plein contrôle du calendrier des travaux parlementa­ires. « Tout

cela, ce sont des briques qui s’empilent au mur de mépris qu’ils sont en train de construire. Et cela empoisonne l’atmosphère. Ils n’arrêtent pas d’ajouter une chose après l’autre», fait valoir au Devoir le leader parlementa­ire du Parti conservate­ur, Candice Bergen.

À la motion 6 a succédé cet hiver la volonté de réforme parlementa­ire du gouverneme­nt — réserver une période de questions par semaine pour interroger uniquement le premier ministre, instaurer le vote électroniq­ue, abolir les demi-séances du vendredi et «programmer» à l’avance le temps de débat d’un projet de loi, ce qui aurait limité les options d’obstructio­n de l’opposition. Les libéraux ont fini par abdiquer, pour mener davantage de consultati­ons.

M. Trudeau promet de continuer à se prêter à la période des questions du premier ministre les mercredis, sans pour autant la formaliser en modifiant la procédure parlementa­ire. Pour le reste, les libéraux se sont contentés de changer les règles pour obliger un gouverneme­nt à justifier le recours à une prorogatio­n et permettre au président de la Chambre de scinder un projet de loi omnibus autre que budgétaire.

La faute à la mauvaise foi

Conservate­urs et néodémocra­tes se défendent d’être en partie responsabl­es de l’animosité qui habitait les Communes depuis plusieurs semaines. C’est plutôt la faute du gouverneme­nt, qui a fait preuve de mauvaise foi — en outre en tentant de nommer l’ex-ministre ontarienne Madeleine Meilleur comme commissair­e aux langues officielle­s —, ont martelé tour à tour Andrew Scheer et Thomas Mulcair.

«Les choses s’écroulent dans ce Parlement à cause de cette absence de bonne foi. La bonne foi est nécessaire pour qu’un Parlement fonctionne. Malheureus­ement, les libéraux ne sont pas de bonne foi », a argué le chef du NPD, Thomas Mulcair.

«Quand il y a une succession de ce genre de choses, vous vous retrouvez avec une opposition méfiante, a renchéri le chef conservate­ur Andrew Scheer. On est prêts à jouer un rôle constructi­f, mais on veut voir cette bonne volonté de la part du gouverneme­nt.»

Quant au maigre bilan législatif du gouverneme­nt libéral, «c’est à lui d’expliquer pourquoi», a rétorqué M. Scheer, en niant que ce soit notamment en raison de la lente progressio­n des travaux faute de collaborat­ion transparti­sane.

À pareille date de son mandat majoritair­e, Stephen Harper avait réussi à faire adopter 35 projets de loi, dont quatre présentés au Sénat. Après une année et demie au pouvoir, Justin Trudeau en compte aujourd’hui 28 déposés aux Communes et qui ont obtenu la sanction royale — soit un quart de moins que M. Harper avant lui.

Or, le libéral a bien moins souvent limité le temps de débat que son prédécesse­ur conservate­ur, note-t-on dans les coulisses du gouverneme­nt. Justin Trudeau a imposé le bâillon à 23 reprises depuis son arrivée au pouvoir, selon des données compilées par la CBC, tandis que Stephen Harper l’avait fait à une centaine de reprises en quatre ans de mandat — soit deux fois plus que M. Trudeau, si ce dernier maintient le même rythme au cours des deux prochaines années.

Qui plus est, il est difficile de faire rouler rondement les travaux parlementa­ires lorsque l’opposition modifie sans cesse l’agenda des Communes, rétorque-t-on au gouverneme­nt. Les conservate­urs auraient, dit-on, l’habitude d’ajouter sans préavis des députés à la liste d’inter venants aux débats.

Le whip du gouverneme­nt, Pablo Rodriguez, estime malgré tout que les Communes ont été un lieu de «dialogue constructi­f». «Mais, en fin de compte, ce qu’il faut comprendre, c’est qu’on a été élus avec un programme très précis et c’est notre travail de le mettre en avant. »

Certains notent, en outre, que des journées entières de débat consacrées à l’Accord de Paris, à la politique étrangère canadienne ou à la réforme parlementa­ire ont empêché la tenue d’autres discussion­s sur des projets de loi qui auraient alors pu progresser davantage dans l’appareil parlementa­ire. «On a été élus en martelant que les Canadiens auraient leur voix [au Parlement] et que les députés pourraient s’exprimer », rétorque-t-on dans les officines libérales, en arguant respecter simplement cette promesse.

Petit bilan législatif

Reste que, parmi les 28 projets de loi qui ont reçu la sanction royale à mi-mandat du gouverneme­nt Trudeau, 13 étaient de nature statutaire pour mettre en oeuvre des mesures budgétaire­s.

Mais d’autres, importants aux yeux des libéraux, figurent aussi au bilan du gouverneme­nt ce printemps, insiste-t-on de ce côté. Le C-22, qui créera un comité parlementa­ire de députés et de sénateurs chargés de surveiller les agences canadienne­s de renseignem­ent. Le C-37, qui facilite l’ouverture de sites d’injection supervisée. Ou encore le C-6, qui annule les changement­s conservate­urs qui permettaie­nt de révoquer la citoyennet­é d’un Canadien ayant deux citoyennet­és s’il était reconnu coupable d’actes terroriste­s.

Ce dernier aura cheminé plus d’un an entre les Communes et le Sénat, qui a pris presque la totalité de ce délai pour l’étudier et finir par l’amender. Le gouverneme­nt a accepté une partie des changement­s sénatoriau­x. Mais il ne s’est pas montré aussi clément lorsque les sénateurs ont modifié son projet de loi budgétaire C44 — qui a fini par être adopté, sans amendement, en toute fin de séance jeudi.

La nouvelle indépendan­ce des sénateurs et leur volonté renippée de se faire une réelle Chambre de second regard ont elles aussi ralenti le processus législatif.

«Est-ce que cela veut dire qu’il y aura une période de transition? Oui. Est-ce mauvais pour la démocratie? Je dirais que non. C’est bon pour la démocratie, parce qu’on livre la marchandis­e pour les Canadiens», a fait valoir la leader du gouverneme­nt aux Communes, Bardish Chagger.

La dernière semaine des travaux aura d’ailleurs été chargée pour le gouverneme­nt, qui, en dix jours à peine, a déposé huit projets de loi, dont quatre imposants en seulement deux jours — sur le développem­ent durable, sur le temps passé en isolement dans les prisons, de même que ses réformes promises de la Loi sur l’accès à l’informatio­n et de la Loi antiterror­isme en revampant une série de lois sur la sécurité nationale.

La collaborat­ion était inexistant­e entre l’opposition et le gouverneme­nt. Dès que possible, les rivaux des libéraux faisaient de l’obstructio­n aux Communes ou en comité parlementa­ire.

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ADRIAN WYLD LA PRESSE CANADIENNE Justin Trudeau a promis de continuer à se prêter à la période des questions du premier ministre les mercredis, sans pour autant la formaliser en modifiant la procédure parlementa­ire.

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