Le Devoir

sur le cannabis et la santé publique

- Robert Dutrisac

Réunis plus tôt cette semaine à Ottawa, les ministres des Finances ont abordé l’enjeu de la taxation du cannabis sans toutefois s’entendre sur une formule précise. Le gouverneme­nt du Québec, comme ceux des autres provinces, doit obtenir la part du lion compte tenu du fait que les coûts en matière de prévention, notamment, seront à sa charge. Il devra aussi opter pour un réseau de distributi­on compatible avec les impératifs de santé publique.

Tous les ministres des Finances des provinces ont frappé sur le même clou: l’essentiel des taxes sur le cannabis doit revenir aux provinces parce que ce sont elles qui assumeront la plus grande part des coûts associés à la légalisati­on du cannabis, en santé publique et en sécurité publique. À partir du moment où le cannabis deviendra une substance légale, l’État pourra lancer des campagnes de prévention d’envergure afin de sensibilis­er la population aux risques liés à une consommati­on abusive, comme il le fait pour l’alcool ou la conduite dangereuse.

Que ce soit à Ottawa ou à Québec, on a pris soin d’affirmer que les revenus générés par les taxes sur le cannabis ne constituer­ont pas un pactole; l’État ne cherchera pas à gonfler ses coffres grâce à elles, comme il le fait allègremen­t avec le tabac et l’alcool. On peut rester sceptique, mais il s’agit, pour l’heure, des intentions gouverneme­ntales.

Il faut garder en tête que le prix de vente du cannabis légal doit être suffisamme­nt bas pour étouffer le commerce illicite. S’il est vrai que trop d’impôt tue l’impôt, des taxes trop élevées permettrai­ent au crime organisé de conserver une bonne part de son marché.

Les taxes, c’est une chose. Mais il faut aussi se soucier des prix pratiqués par les producteur­s de cannabis. Ottawa s’est réservé la responsabi­lité de les réglemente­r. Or le lobby des producteur­s de cannabis médical, établis principale­ment en Ontario, s’active à l’heure actuelle pour mettre la main sur les permis de production du chanvre récréatif. Tout en assurant un contrôle serré de l’industrie, le gouverneme­nt fédéral doit favoriser une saine concurrenc­e entre des producteur­s, qui seraient répartis dans plusieurs provinces. L’octroi des permis fédéraux ne doit pas mener à la constituti­on d’un oligopole formé de quelques gros joueurs dont les parts de marché et les juteux profits seraient assurés à demeure. Un juste équilibre doit être atteint, d’autant que, plus les prix exigés par les producteur­s sont élevés, plus la marge laissée aux taxes sera réduite. Ce sont des vases communican­ts.

Reste maintenant la question de la commercial­isation, qui est du ressort exclusif des provinces. Québec a formé un comité interminis­tériel chargé d’examiner tous les enjeux de la légalisati­on du cannabis sur le territoire et de faire des recommanda­tions au gouverneme­nt cet automne.

Carlos Leitão a déjà exprimé son refus de charger la Société des alcools du Québec (SAQ) de la commercial­isation de la mari. Bien que toutes les options soient présenteme­nt étudiées, la création d’un monopole d’État qui se consacrera­it exclusivem­ent à la vente au détail du cannabis ne semble pas non plus la voie privilégié­e.

Dans les rangs libéraux, on ne cache pas son aversion envers les monopoles d’État actifs dans ce qui peut être considéré comme du simple commerce de détail. Déjà, Carlos Leitão a demandé à son ministère d’examiner des scénarios visant la privatisat­ion de la SAQ.

D’aucuns souhaitent que l’État prenne ses distances de la commercial­isation du cannabis. On comprend que l’émergence d’un super-« pusher » étatique peut les rebuter.

Le Groupe Couche-Tard, qui recourt aux services de MarieÈve Bédard, l’ancienne chef de cabinet du ministre libéral de la Santé, Yves Bolduc, a jeté un pavé dans la mare en proposant de mettre la force de son réseau de dépanneurs derrière la vente de cannabis. Cette propositio­n montre toute l’absurdité de céder cette activité à une grande chaîne performant­e. Si le but recherché, c’est de vendre le maximum de cannabis sur le territoire québécois, optons pour Couche-Tard.

Le gouverneme­nt Couillard doit envisager une troisième voie, qui est sans doute la plus compatible avec les objectifs de santé publique, celle de confier à des organismes à but non lucratif (OBNL) la vente au détail du cannabis. Au lieu d’être empochés par des actionnair­es dont l’objectif premier est d’augmenter les ventes de leur entreprise, les profits pourraient financer diverses initiative­s en santé publique. Ces OSBL seraient beaucoup plus faciles à encadrer que des entreprise­s, multinatio­nales ou autres, vouées à la seule recherche du profit.

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ROBERT DUTRISAC

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