sur le cannabis et la santé publique
Réunis plus tôt cette semaine à Ottawa, les ministres des Finances ont abordé l’enjeu de la taxation du cannabis sans toutefois s’entendre sur une formule précise. Le gouvernement du Québec, comme ceux des autres provinces, doit obtenir la part du lion compte tenu du fait que les coûts en matière de prévention, notamment, seront à sa charge. Il devra aussi opter pour un réseau de distribution compatible avec les impératifs de santé publique.
Tous les ministres des Finances des provinces ont frappé sur le même clou: l’essentiel des taxes sur le cannabis doit revenir aux provinces parce que ce sont elles qui assumeront la plus grande part des coûts associés à la légalisation du cannabis, en santé publique et en sécurité publique. À partir du moment où le cannabis deviendra une substance légale, l’État pourra lancer des campagnes de prévention d’envergure afin de sensibiliser la population aux risques liés à une consommation abusive, comme il le fait pour l’alcool ou la conduite dangereuse.
Que ce soit à Ottawa ou à Québec, on a pris soin d’affirmer que les revenus générés par les taxes sur le cannabis ne constitueront pas un pactole; l’État ne cherchera pas à gonfler ses coffres grâce à elles, comme il le fait allègrement avec le tabac et l’alcool. On peut rester sceptique, mais il s’agit, pour l’heure, des intentions gouvernementales.
Il faut garder en tête que le prix de vente du cannabis légal doit être suffisamment bas pour étouffer le commerce illicite. S’il est vrai que trop d’impôt tue l’impôt, des taxes trop élevées permettraient au crime organisé de conserver une bonne part de son marché.
Les taxes, c’est une chose. Mais il faut aussi se soucier des prix pratiqués par les producteurs de cannabis. Ottawa s’est réservé la responsabilité de les réglementer. Or le lobby des producteurs de cannabis médical, établis principalement en Ontario, s’active à l’heure actuelle pour mettre la main sur les permis de production du chanvre récréatif. Tout en assurant un contrôle serré de l’industrie, le gouvernement fédéral doit favoriser une saine concurrence entre des producteurs, qui seraient répartis dans plusieurs provinces. L’octroi des permis fédéraux ne doit pas mener à la constitution d’un oligopole formé de quelques gros joueurs dont les parts de marché et les juteux profits seraient assurés à demeure. Un juste équilibre doit être atteint, d’autant que, plus les prix exigés par les producteurs sont élevés, plus la marge laissée aux taxes sera réduite. Ce sont des vases communicants.
Reste maintenant la question de la commercialisation, qui est du ressort exclusif des provinces. Québec a formé un comité interministériel chargé d’examiner tous les enjeux de la légalisation du cannabis sur le territoire et de faire des recommandations au gouvernement cet automne.
Carlos Leitão a déjà exprimé son refus de charger la Société des alcools du Québec (SAQ) de la commercialisation de la mari. Bien que toutes les options soient présentement étudiées, la création d’un monopole d’État qui se consacrerait exclusivement à la vente au détail du cannabis ne semble pas non plus la voie privilégiée.
Dans les rangs libéraux, on ne cache pas son aversion envers les monopoles d’État actifs dans ce qui peut être considéré comme du simple commerce de détail. Déjà, Carlos Leitão a demandé à son ministère d’examiner des scénarios visant la privatisation de la SAQ.
D’aucuns souhaitent que l’État prenne ses distances de la commercialisation du cannabis. On comprend que l’émergence d’un super-« pusher » étatique peut les rebuter.
Le Groupe Couche-Tard, qui recourt aux services de MarieÈve Bédard, l’ancienne chef de cabinet du ministre libéral de la Santé, Yves Bolduc, a jeté un pavé dans la mare en proposant de mettre la force de son réseau de dépanneurs derrière la vente de cannabis. Cette proposition montre toute l’absurdité de céder cette activité à une grande chaîne performante. Si le but recherché, c’est de vendre le maximum de cannabis sur le territoire québécois, optons pour Couche-Tard.
Le gouvernement Couillard doit envisager une troisième voie, qui est sans doute la plus compatible avec les objectifs de santé publique, celle de confier à des organismes à but non lucratif (OBNL) la vente au détail du cannabis. Au lieu d’être empochés par des actionnaires dont l’objectif premier est d’augmenter les ventes de leur entreprise, les profits pourraient financer diverses initiatives en santé publique. Ces OSBL seraient beaucoup plus faciles à encadrer que des entreprises, multinationales ou autres, vouées à la seule recherche du profit.