L’identité québécoise selon Couillard
Les célébrations se déroulent moins d’un mois après que le premier ministre eut poliment demandé au Rest of Canada de discuter d’une reconnaissance de la nation dans la loi fondamentale du pays
Àquelques heures du coup d’envoi des grands spectacles de la Fête nationale du Québec, Michel Rivard a été appelé à décrire l’ambiance sur les plaines d’Abraham, à Québec, ou encore sur la place des Festivals à Montréal. « Les rêves sont en train de se réajuster dans la plupart des cas», a lâché l’auteur-compositeur-interprète, qui a pris part à plus d’un concert de la Saint-Jean-Baptiste. Le spectacle mythique 1 fois 5 sur le mont Royal, en 1976, était l’un d’eux. «Il y avait autre chose dans l’air. » Depuis, la ferveur nationaliste s’est refroidie. « Je pense que ce n’est pas une occasion pour arrêter de fêter, au contraire », a poursuivi le porte-parole de la 183e Fête nationale au micro d’ICI Radio-Canada.
Des dizaines de milliers de Québécois entendent bien lui donner raison. Ils braveront les intempéries annoncées et se plieront aux contrôles de sécurité renforcés afin de célébrer la Fête nationale du 24 juin. Mais que fêterontils au juste ?
L’identité québécoise, a suggéré le premier ministre Philippe Couillard à l’occasion d’une réception au domaine Cataraqui, jeudi aprèsmidi. «Pour affirmer une identité, il n’est pas nécessaire de vouloir en effacer une autre autour de nous. Il faut plutôt convier les autres à partager cette idée et cette vision du monde», a-t-il précisé devant un parterre de quelques dizaines de personnes triées sur le volet. «Bien sûr, tout le monde est le bienvenu et inclus [au Québec], mais autour d’une trame sociale, culturelle, historique, linguistique commune qui est le tronc de la société du Québec. »
La Politique d’affirmation du Québec
Le chef du gouvernement a cité librement l’un de ses écrivains favoris, c’est-à-dire Amin Maalouf. Dans Les identités meurtrières (1998), l’auteur franco-libanais soutient que « chacun d’entre nous devrait être encouragé à assumer sa propre diversité, à concevoir son identité comme la somme de ses diverses appartenances, au lieu de la confondre avec une seule, érigée en appartenance suprême et en instrument d’exclusion, parfois en instrument de guerre».
M. Couillard aime rappeler les 20 premiers mots de ce passage. Il les a d’ailleurs retranscrits dans la Politique d’affirmation du Québec
«
Pour affirmer une identité, il n’est pas nécessaire de vouloir en effacer une autre autour de nous. Il faut plutôt convier les autres à partager cette idée et cette vision du monde. Le premier ministre Philippe Couillard
et de relations canadiennes, qu’il a dévoilée le 1er juin — sans toutefois préciser de quel ouvrage ils avaient été tirés.
Tout en brandissant sa nouvelle Politique d’affirmation, le premier ministre invitait poliment le Rest of Canada à «nous connaître et nous reconnaître» et à causer d’une éventuelle reconnaissance de la nation québécoise dans la loi fondamentale du pays. La reconnaissance de la nation québécoise a ainsi pris le pas sur celle de la société distincte dans la liste des revendications politiques et constitutionnelles du Québec.
«“Nation”, c’est plus fort que “société distincte”. Cela correspond plus à la réalité qu’on veut décrire», souligne le professeur à la Faculté de droit de l’Université Laval Patrick Taillon. «Le mot choisi, c’est une chose. L’environnement dans lequel il va se retrouver, c’est autre chose. Est-ce que c’est dans un article qui nous rappelle que l’interprétation de la Constitution doit en tenir compte? Cela a des conséquences », fait-il remarquer.
M. Taillon accueille d’un bon oeil la volonté affichée par le Parti libéral du Québec de participer au renouvellement de la fédération canadienne après s’être fait «complice du statu quo». «Son ADN depuis la Révolution tranquille, c’est d’être fidèle à l’adhésion au Canada, mais dans un fédéralisme renouvelé. Alors ça, au moins, ça va permettre à ce parti de se reconnecter avec son véritable idéal », dit-il dans un entretien avec Le Devoir.
Une gifle, du mépris
Sauf que le premier ministre fédéral, Justin Trudeau, a coupé court à toute tentative de reprise de discussions constitutionnelles, et ce, avant même le dévoilement de la Politique d’affirmation du Québec et de relations canadiennes. La «main tendue» de M. Couillard a «eu comme réponse une gifle, du mépris, de la désinvolture» de la part de son homologue fédéral, avait dénoncé le chef péquiste Jean-François Lisée au début du mois.
Pourtant, Justin Trudeau a serré des mains et multiplié les égoportraits avec des citoyens de Boischatel, de Saint-Augustin-de-Desmaures, de Sainte-Anne-de-la-Pérade puis de Trois-Rivières comme si de rien n’était vendredi.
Les esprits s’étaient échauffés à la vue de son père, Pierre Elliott Trudeau, dans la tribune d’honneur du défilé du 24 juin 1968. Une émeute avait éclaté avant d’être réprimée à coups de matraque. Rien de tout cela le 23 juin 2017.
Justin Trudeau s’est dirigé, tout sourire, vers les festivités du 150e anniversaire du Canada, dont le coup d’envoi sera donné dans une semaine.
D’ici là, les Québécois célébreront une nouvelle fois ce week-end malgré les « rivalités » inhérentes à «une nation qui n’a pu accéder à l’indépendance » : «entre ceux pour qui la fête doit nous rapprocher du pays désiré et ceux n’y voyant qu’une démonstration de solidarité nationale», comme l’expliquait l’historien Gilles Laporte dans Le Devoir en 2013. «En attendant, il nous reste à célébrer dignement notre fête nationale et à tâcher de “rendre le peuple meilleur”», a-t-il écrit dans un clin d’oeil à la devise de la Société Saint-Jean-Baptiste.
Pour Philippe Couillard, la Fête nationale 2017 est l’occasion pour «tous les Québécois, quelle que soit leur date d’arrivée», d’afficher leur fierté d’appartenir à la nation québécoise. «La Fête nationale nous appartient, elle vous appartient. C’est à nous, c’est à vous d’en faire un symbole de fierté. Une fierté partagée. Une fierté qu’on a toujours eue. Une fierté qui fait également partie de ce qui nous rend si particuliers, si spéciaux au Québec, et qui nous rend encore une fois aujourd’hui, je le dis avec beaucoup de force, très fiers d’être Québécois et d’être Québécoises. Vive la Fête nationale! Vive le Québec!» a-t-il lancé jeudi, avant d’inviter les personnes agglutinées devant lui à lever leur flûte de cidre de Saint-Nicolas à la «santé du Québec et à la fraternité humaine».