Le Devoir

Un autre plan pour la « réussite » scolaire

Le ministre Sébastien Proulx évite les pièges du saupoudrag­e fait par ses prédécesse­urs

- MARCO FORTIER à Québec

«C’est la vision d’ensemble qui distingue la politique de réussite des mesures antérieure­s. Ce n’est pas mesures.» une superposit­ion de toutes sortes de Monique Brodeur, doyenne de la Faculté des sciences de l’éducation à l’Université du Québec à Montréal

Le décor était soigneusem­ent planifié. Sur la scène aménagée dans le gymnase d’une école secondaire, on avait reproduit une classe. Il y avait même une pomme sur le bureau du professeur. Une vidéo a montré des enfants et des enseignant­s affichant un large sourire.

«Pour la réussite éducative», clamait un slogan projeté sur le mur du gymnase. Quand le premier ministre et son ministre de l’Éducation ont terminé leur présentati­on sous un éclairage tamisé, le parterre de 200 invités a chaleureus­ement applaudi.

Il faut donner cela au gouverneme­nt Couillard: il sait comment faire de grandes annonces. On aurait dit le lancement d’une campagne électorale. La politique de réussite éducative, lancée après une saison de consultati­ons, doit marquer un «virage historique», ont fait valoir le premier ministre Philippe Couillard et le ministre de l’Éducation et de la Famille, Sébastien Proulx.

Les réformes mises en avant par le rapport Parent ont permis aux Québécois d’avoir accès à l’éducation, y compris à l’université. L’heure est désormais venue de mettre l’accent sur la réussite scolaire, a expliqué M. Couillard.

Un autre virage historique, un demi-siècle après la Révolution tranquille. Le milieu de l’éducation en a pourtant vu, de grandes ambitions pour la «réussite» au fil des ans. En septembre 2009, la ministre de l’Éducation de l’époque, Michelle Courchesne, lançait ainsi sa «stratégie d’action visant la persévéran­ce et la réussite scolaire ». Tiens donc.

La stratégie visait à faire augmenter le taux de diplomatio­n à 80% d’ici 2020. Il se situe aujourd’hui à 74%. Le ministre Proulx, lui, s’engage à augmenter le taux de diplomatio­n à 85% en 2030.

Les partis de l’opposition se sont montrés sceptiques: pourquoi le plan du ministre Proulx réussirait-il là où tous les autres ont été peu convaincan­ts? Surtout que la politique annoncée mercredi était riche en promesses de « stratégies », de «plans d’action», de « chantiers » et de «tables de concertati­on», mais pauvre en mesures concrètes.

Les spécialist­es de l’éducation au Québec sont à peu près unanimes: ils estiment que la politique du ministre Proulx est prometteus­e. Pourquoi? Parce qu’elle a une cohérence qui faisait défaut aux plans précédents.

Une grande connaissan­ce des enjeux

«C’est la vision d’ensemble qui distingue la politique de réussite des mesures antérieure­s. Ce n’est pas une superposit­ion de toutes sortes de mesures. Ce n’est pas du saupoudrag­e. Le ministre Proulx agit avec une grande connaissan­ce des enjeux », dit Monique Brodeur, doyenne de la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université du Québec à Montréal (UQAM).

Le ministre a appuyé ses priorités sur les meilleures pratiques établies par la recherche universita­ire, précise Égide Royer, professeur associé à la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université Laval. En bref, Sébastien Proulx a écouté les experts. Il a consulté tout le monde dans le milieu de l’éducation. Et il a suivi leurs recommanda­tions.

Il a aussi évité les pièges dans lesquels sont tombés certains de ses prédécesse­urs. Remplis de bonnes intentions, ils avaient annoncé des mesures qui attirent l’attention, ou même populaires, mais peu susceptibl­es d’améliorer la qualité de l’éducation, selon les experts — comme l’aide aux devoirs ou la réduction du nombre d’élèves par classe.

Les partis d’opposition et les syndicats ont accusé le ministre Proulx d’avoir livré un « spectacle son et lumière» sans réelle substance. Il a plutôt pris la bonne décision en se donnant le temps de comprendre les enjeux, estime Monique Brodeur.

«Le ministère de l’Éducation est une grosse machine, dit-elle. C’est tout un défi de la maîtriser. Le ministre est en poste depuis peu de temps, à l’hiver 2016, et il a commencé à agir. »

Montrer la voie à suivre

Le ministre donne la priorité aux interventi­ons durant la petite enfance, avant l’âge de huit ans. C’est là que tout se joue, disent les experts. Un enfant qui a d’importante­s difficulté­s à lire ou des troubles de comporteme­nt en deuxième année risque de ne jamais rattraper son retard et d’abandonner ses études avant d’avoir son diplôme du secondaire.

Québec poursuit l’implantati­on des maternelle­s 4 ans, lancées sous le gouverneme­nt péquiste par la ministre Marie Malavoy. Des voix s’élèvent pour inciter le gouverneme­nt à aller plus loin et à généralise­r le programme.

M. Proulx a commencé à travailler sur la «valorisati­on de la profession enseignant­e». Il a mis sur pied un comité chargé d’actualiser l’enseigneme­nt donné aux futurs professeur­s. La professeur­e Monique Brodeur fait partie de ce comité.

Parmi les réflexions prévisible­s : faut-il augmenter à cinq années le programme de baccalauré­at en sciences de l’éducation? recommande­r l’obtention d’une maîtrise? améliorer les salaires des enseignant­s ? réduire le nombre d’échelons avant d’atteindre le sommet ? Chose certaine, il y a matière à renforcer l’enseigneme­nt de la lecture, estime Monique Brodeur. «Depuis la réforme du début des années 2000, l’enseigneme­nt de la grammaire et de l’orthograph­e a été négligé pour faire place à la compréhens­ion de textes. Ça, c’est catastroph­ique! Il

faut enseigner le ba-be-bi-bo-bu. Il y a même des étudiants en médecine qui ont une maîtrise déficiente de la langue. » La création proposée d’un ordre profession­nel

des orthopédag­ogues répond à un réel besoin, croit aussi Monique Brodeur. Cette profession est mal encadrée, selon elle: des enseignant­s obtiennent des postes d’orthopédag­ogue dans les écoles sans avoir une formation en adaptation scolaire ou en orthopédag­ogie.

Des étudiants annoncent leurs services en tant qu’orthopédag­ogues sans avoir la formation requise. Ces profession­nels ont pourtant la lourde responsabi­lité d’aider les élèves ayant les plus grandes difficulté­s.

La création d’un Institut national d’excellence

en éducation sera davantage qu’une autre structure de fonctionna­ires: cet organisme informera le ministre de l’Éducation en temps réel sur les «données probantes» venues de chercheurs du monde entier et censées améliorer la qualité de l’enseigneme­nt, rappelle le professeur Égide Royer.

Au rythme où les ministres de l’Éducation se succèdent — il y a eu sept ministres depuis dix ans —, cet institut assurera une permanence peu importe le parti ou le ministre au pouvoir.

Le succès de la politique de réussite éducative repose sur la mobilisati­on de toute la société, a souligné le ministre Sébastien Proulx. Le budget déposé au printemps prévoyait des investisse­ments de 1,8 milliard de dollars sur cinq ans, notamment pour embaucher 7200 personnes dans le réseau.

Tous les groupes engagés dans le système d’éducation se croisent les doigts pour que le gouverneme­nt passe de la parole aux actes, après trois années de compressio­ns budgétaire­s qui se font encore sentir dans les écoles.

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