Le Devoir

Effacer Cartier ou Macdonald de notre mémoire collective ?

- LUC-NORMAND TELLIER Professeur émérite au Départemen­t d’études urbaines et touristiqu­es de l’ESG-UQAM

Afin de souligner la Journée nationale des autochtone­s, le gouverneme­nt canadien a choisi d’effacer de notre mémoire collective le nom d’Hector-Louis Langevin, l’un des deux seuls Pères de la Confédérat­ion francophon­es ayant assisté à la fois à la conférence de Charlottet­own réunissant 21 personnes (dont 2 francophon­es), à celle de Québec réunissant 31 personnes (dont 4 francophon­es) et à celle de Londres réunissant 15 personnes (dont 2 francophon­es), le seul Père de la Confédérat­ion francophon­e qui trouve encore grâce à Ottawa étant George-Étienne Cartier.

La campagne visant à faire disparaîtr­e toute trace d’Hector-Louis Langevin dans la mémoire canadienne a eu comme unique but de faire porter à un politicien québécois une responsabi­lité qui n’est pas la sienne, soit celle de la mise sur pied du réseau des pensionnat­s autochtone­s.

Hector-Louis Langevin (1826-1906) n’est pas le créateur des pensionnat­s autochtone­s ; les premiers pensionnat­s autochtone­s ont été ouverts bien avant qu’il devienne un député fédéral; de tels pensionnat­s auraient été introduits en 1820, six ans avant la naissance de Langevin.

De plus, Langevin n’était pas ministre des Affaires indiennes quand ces derniers ont été érigés en système; Langevin a été chargé des affaires indiennes pendant seulement un an et demi, de mai 1868 à décembre 1869, alors que la décision de créer un système de pensionnat­s autochtone­s dans l’Ouest date de 1883 (soit 14 ans après la fin du mandat de Langevin aux Affaires indiennes).

Par ailleurs, Hector-Louis Langevin n’était pas ministre des Affaires indiennes lors de l’adoption de l’Indian Act de 1876 ni quand la fréquentat­ion des pensionnat­s par les autochtone­s a été rendue obligatoir­e en 1920. Enfin, il n’est nullement responsabl­e du fait que le système des pensionnat­s autochtone­s a duré plus d’un siècle, de 1883 à 1996 (Langevin est mort en 1906).

Responsabi­lité de John A. Macdonald

En 2013, le gouverneme­nt des Territoire­s du Nord-Ouest, celui du Nunavut et la fondation « Legacy of Hope » ont publié un document, que l’on peut consulter sur Internet, intitulé The Residentia­l School System in Canada, dans lequel on peut lire (page 15) : 1. que c’est sir John A. Macdonald, alors à la fois premier ministre du Canada et ministre des Affaires indiennes, qui, en 1883, a amorcé le programme des pensionnat­s autochtone­s en autorisant la constructi­on de trois pensionnat­s de ce type dans l’Ouest canadien; 2. qu’à cette occasion, Hector Langevin, en sa qualité de membre du cabinet et de ministre des Travaux publics, a pris, comme d’autres députés ministérie­ls, la parole pour annoncer et appuyer cette mesure ; 3. que, de 1883 à 1931, le nombre de pensionnat­s autochtone­s fédéraux est passé de 3 à 80 et que le nombre de pensionnai­res a atteint le nombre de 17 000 ; 4. qu’en 1920, Duncan Campbell Scott, le haut fonctionna­ire chargé de l’applicatio­n de l’Indian Act, a rendu obligatoir­e la fréquentat­ion des pensionnat­s autochtone­s.

À la lecture de ce document, il est clair que Langevin ne saurait être tenu responsabl­e de l’instaurati­on et du maintien pendant plus d’un siècle de la politique des pensionnat­s autochtone­s en se voyant cité hors contexte (ni lui ni aucun de ses collègues anglophone­s en Chambre qui étaient d’accord avec lui), alors qu’il n’était nullement responsabl­e des questions autochtone­s lorsque la politique des pensionnat­s autochtone­s a été mise en place, rendue contraigna­nte et maintenue pendant tant d’années.

Si un responsabl­e de tout cela doit être trouvé, ce ne peut être que John A. Macdonald, dont il conviendra­it que les chefs autochtone­s réclament qu’on enlève le nom et les statues partout où on les trouve, à moins qu’ils trouvent le moyen de faire disparaîtr­e le nom de GeorgeÉtie­nne Cartier…

La politique fédérale de création de pensionnat­s autochtone­s a duré 113 ans. Pendant cette période, le ministère des Affaires indiennes n’a été sous la responsabi­lité d’un francophon­e que pendant 10 ans, dont 6 sous celle de Jean Chrétien. Donc, 91% du temps, cette responsabi­lité a été celle de ministres anglophone­s. Or, aucun d’entre eux ne fait l’objet d’une compagne de dénigremen­t semblable à celle qui a conduit à l’exécution morale de l’avant-dernier Père de la Confédérat­ion francophon­e considéré comme fréquentab­le. Bon cent cinquantiè­me !

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