Inattendue de nature
La région mise sur ses particularités insoupçonnées pour charmer les visiteurs
Où peut-on apprendre à marier coeurs de quenouilles et prosciutto? Se frotter à la passion d’un ex-vidéaste underground pour l’art du bonsaï? Se retrouver attelé à un husky? Ah, si seulement le sieur de La Naudière voyait ce qui se passe sur ses anciennes terres…
Flanquée des Laurentides et de la Mauricie, deux régions aux identités fortes, Lanaudière mise sur ses particularités insoupçonnées pour nous inciter à nous rapprocher d’elle.
Avec sa campagne publicitaire télévisuelle et sur le Web, Tourisme Lanaudière se livre d’ailleurs à une opération grande séduction présentement. « L’objectif est de positionner la région comme “l’insoupçonnée destination” afin de démontrer qu’elle constitue une option vacances de choix, mais méconnue», explique Éliane Larouche, du Service des communications de l’association touristique.
En ce qui me concerne, début juin, j’avais simplement envie de me mettre au vert pas trop loin de Montréal. Mais,
très rapidement, l’inattendu a pris le dessus dans ce vaste territoire agricole et forestier: je suis allée de surprise en surprise… Et c’est ainsi que je me suis retrouvée chez Kinadapt, à Rawdon.
Kinadapt, c’est une base de plein air où 88 huskys bossent hiver comme été. Elle a été fondée par Carole Turcotte, psycho-éducatrice de formation, et Peter Boutin, kinésiologue.
Avec leur fille Paméla, une athlète en devenir, ils partagent un grand amour de la nature et des chiens. « Notre mission, c’est de faire bouger le plus de gens possible, qu’ils soient sur deux jambes ou handicapés», dit Carole Turcotte, en ajoutant que, l’hiver, les personnes à mobilité réduite peuvent se balader dans des traîneaux à chiens conçus pour elles.
Ce dimanche-là, c’était un après-midi de cani-cross (ou cani-course) qui m’attendait. Et
me voilà attelée à Aria, une chienne fougueuse qui semble avoir très, très hâte de me montrer combien elle est plus rapide que moi.
Au fil des foulées dans le boisé, Paméla Turcotte Boutin m’explique que cette activité est pratiquée tant par les coureurs du dimanche que par les marathoniens de haut niveau.
L’apprécient également « tous ceux qui aiment les chiens mais n’ont pas le style de vie pour en avoir un, comme [l’humoriste] François Morency: ils viennent ici se ressourcer en leur compagnie ».
Aria n’en finit plus de se retourner vers moi, l’air de dire: la madame n’aurait-elle pas envie de pousser la machine? J’obtempère, d’autant plus qu’il se mit à tomber des clous. Pour les deux prochains jours, ou presque.
Au spa dans le bois
«Oh, mais c’est quand il pleut que l’expérience du spa nordique
est la plus agréable!» me dit-on à l’accueil de La Source, à Rawdon. Je connais la chanson: la nature est encore plus belle vernissée de pluie. Vous m’en direz tant! N’empêche que cet établissement de bains nordiques est vraiment d’une beauté… inespérée.
Toutes de bois et de verre, ses installations s’étagent sur un flanc du mont Pontbriand. Ici, des bassins dans lesquels on mijote à des températures variées. Là, des aires de détente, dont une chambre noire dotée de fauteuils à «zéro gravité ».
Plus loin, une plateforme de yoga, un sentier de méditation et jusqu’à une aire de massage extérieure. Estela m’y a fait un bien fou sur fond de mélopée pluviale.
À Saint-Alphonse-Rodriguez, l’insoupçonné m’attendait aussi chez Robert Smith. Il appert qu’après une longue carrière au deuxième sous-sol de RadioCanada, le vidéaste eut grande envie de s’aérer à la campagne afin de donner libre cours à sa passion: l’art du bonsaï.
Avec sa conjointe, Suzanne Piché, il créa, il y a 20 ans, la Société du bonsaï et du penjing du Québec et se mit à importer d’Asie des arbres à sculpter de bonne qualité. «Vous avez un pionnier devant vous!» lance-t-il. C’était avant qu’un Chinois ne l’exhorte à «créer des penjings à la québécoise». Depuis, il achète des mélèzes de la Côte-Nord !
Dans ses serres, il veille sur les sculptures arboricoles qu’on a laissées à ses bons soins, donne des cours aux amateurs et crée ses propres paysages en pot.
Aux curieux qui s’amènent au Centre d’interprétation, il fait visiter les installations et cause techniques de ligature comme dynastie Tang. Quant à
Suzanne Piché, elle réalise de minibonsaïs d’accompagnement d’une grande délicatesse.
Douceurs monacales
En 2009, le développement d’Oka incite les moines trappistes à se relocaliser à SaintJean-de-Matha. «Il nous fallait retrouver le calme, la solitude
et la nature», dit le frère Emmanuel (Cottineau).
À l’abbaye Val Notre-Dame, qu’a dessinée l’architecte Pierre Thibault, le vert s’invite d’ailleurs allègrement à l’intérieur.
Selon la Règle de saint Benoît, tous ceux qui se présentent à l’hôtellerie du monastère sont reçus comme le Christ en personne.
Je n’en demandais pas tant. Seulement, voilà : les 14 chambres étaient louées. Eh ben, ça, je ne m’y attendais pas! Comme quoi nous sommes plus nombreux qu’on le croit à rechercher le silence…
À Oka, les moines ont fait du fromage pendant 40 ans pour subvenir à leurs besoins et payer le compte de taxes. Ici, ils confectionnent des douceurs tels chocolats, caramel et gâteaux.
Avec le fruit de leurs cueillettes forestières, ils concoctent également des condiments
comme du sel aromatisé aux champignons homards.
Et ils transmettent leur savoir de la forêt et de la permaculture par une dizaine d’ateliers donnés jusqu’à la mi-octobre. Lors des activités culinaires, pétoncles au sirop de bouleau et coeurs de quenouilles au prosciutto sont au menu. Avouez que ça sort des sentiers gustatifs battus!
Glamping et cie
Au rayon du dodo alternatif en nature, Kabania est novateur. À Notre-Dame-de-la-Merci, en bordure du parc régional de la forêt Ouareau, MarieChristine Tremblay a voulu
créer «une expérience d’hébergement à ambiance communautaire». Mission accomplie. Sa proposition? Dix maisonnettes dans les arbres et sept cabanitas haut perchées, celles-là conçues uniquement pour roupiller.
Chaque type d’habitation est desservi par une aire de jeux, une aire de feux et des bâtiments communs abritant cuisine, salon et installations sanitaires. Voisin d’un réseau de sentiers totalisant 120 kilomètres traversé par la rivière Dufresne, le site forestier est bien invitant hiver comme été. Dommage que la madame déteste le camping sous la pluie, aussi glam soit-il.
Finalement, c’est à Saint-Donat que j’ai logé, au domaine Grand R. «Si, en haut de la côte, il vous semble que vous êtes perdue, c’est que vous êtes arrivée!», dit la directrice, Miriam Hart. Ça augure bien pour qui veut la sainte paix! Les fans de la série Le Chalet, eux, auraient de suite reconnu… ledit chalet utilisé par l’équipe de Vrak.tv.
Avec ses trois lacs et ses 2500 acres, ce domaine, une propriété de la Compagnie immobilière Gueymard (tout comme les Lofts Redpath, à Montréal), a des allures de miniparc régional. D’autant plus qu’il avoisine une propriété soeur, la station de ski La Réserve.
Pour l’heure, il compte 28 unités d’habitation allant de chalets rustiques à une résidence super-luxueuse, en passant par des appartements à l’aménagement contemporain, ces derniers bordant le lac Bouillon. Un restaurant, un bar, une piscine intérieure et un aménagement extérieur dédié à la célébration de mariages donnent presque envie de dire « Oui » !
Tout ça au milieu de nulle part et en même temps à proximité de Saint-Donat… « Ici, on ne vient pas magasiner mais plutôt relaxer, rêver et prendre l’air sans la jet-set de Tremblant », dit Miriam Hart.
De la ferme à la fourchette
Dans l’assiette lanaudoise aussi, la surprise est au rendez-vous. À Saint-Donat, Chez Victor est un bistrot sans prétention où le chef Martin Dubuc donne dans le « fast-food urbain». Traduction: une cuisine de réconfort où les accompagnements sont des versions plus sophistiquées que les offrandes du traditionnel stand de patates frites.
En guise de dessert, le «banax» (une pâte levée, tressée et frite), accompagné de glace vanille et gingembre et inspiré de l’origine madelinienne du proprio, est un vrai délice.
À Saint-Côme, Le Petit Café d’antan est une autre adresse sympa. Aux commandes: Manon Brault et Yvan Trottier. Après avoir géré deux maisons d’hôtes dans les environs, ils ont décidé de faire de la vieille forge du village leur maison privée et… un lieu de rencontre pour gens du cru et d’ailleurs.
«Je me sens infidèle quand je ferme, hors saison», confie la restauratrice. Vitrine des produits locaux, ce café tout simple garnit ses assiettes de «tartins» de la Terre des Bisons, de jambon de Cochon Cent Façons et de plein d’autres bonnes choses.
«Depuis 20 ans, je vois bien l’intérêt grandissant pour la région, dit-elle. Un exemple? Val Saint-Côme est devenu le nouveau Saint-Sauveur!» Entre autres parce que s’y tient la Coupe du monde du ski acrobatique.
De retour à Saint-Jean-de Matha, je m’arrête au Domaine Maurel-Coulombe, une ferme d’élevage artisanal de canards. L’endroit est idyllique. Derrière l’ancienne chaumière de feu Henri Bernard, chef français et Ricardo de son temps, Yvanne Maurel et Martin Coulombe bichonnent leurs volatiles qui s’ébattent en liberté (pas de cages ici).
Puis ils en tirent des produits exquis — foie gras, rillettes, terrines, magret farci de foie (génial!), cuisses confites, alouette — dont on peut s’approvisionner sur place.
Lorsque l’agricultrice cause de « gavage respectueux de l’animal », je suis sceptique. Mais lorsqu’elle m’explique, avec son charmant accent toulousain, qu’un canard peut avaler sans problème un poisson de 500 grammes tant son oesophage est extensible — «Ça ne lui fait pas mal», assure-telle —, ça remet les pendules à l’heure.
Et lorsqu’elle ajoute qu’elle masse ses canards pendant les huit minutes que dure l’opération, répétée pendant 14 jours, et qu’elle joint machinalement le geste à la parole, j’y crois, à son respect des oiseaux.
Un parcours d’interprétation particulièrement instructif et ouvert tous les samedis et dimanches d’été raconte la belle aventure du couple. Voilà qui n’a peut-être rien d’inattendu, mais qui permet de se rappeler que le bonheur est dans le pré.