La tisane, produit gastronomique, avec trois passionnées
Rencontre avec trois passionnées des plantes
Àla Saint-Jean, la coutume était d’aller cueillir différentes herbes médicinales réputées au top de leur forme après le solstice d’été. La tradition s’est perdue, mais pas les plantes et leurs vertus. Toutefois, on confine encore trop souvent les tisanes à leurs bienfaits thérapeutiques. Et si on les amenait ailleurs, dans une dimension plus gastronomique ?
De sa Bretagne natale, Chantal Conan rêvait de fouler le sol canadien et de plonger ses sens dans cette immensité sauvage. Arrivée au Québec en 1996, cette mordue des plantes fait la connaissance de coureurs des bois, dont un qui la marquera particulièrement: « Cet homme qui ne savait ni lire ni écrire avait développé une écoute multisensorielle de la nature. En le suivant en forêt, je me suis mise à me sentir un peu comme une bête sauvage, avec les sens décuplés!»
Après plusieurs années de cueillette pour les autres, l’herboriste lance sa propre entreprise. Forêts et Papilles voit le jour en 2011 dans les Laurentides, son camp de base. Dès lors, Chantal se tourne vers une herboristerie plus axée sur la notion de plaisir, sur le goût. Fatigue, stress, digestion difficile… Oui, la tisane peut être un pansement sur un bobo. Mais en dehors de ses vertus médicinales s’offre une étendue de possibilités aromatiques et savoureuses.
Après avoir trouvé une plante indigène au meilleur de sa forme (comme tout bon professionnel qui pratique une cueillette sauvage éthique), Chantal cherche à faire perdurer les odeurs qui l’ont saisie dans le bois. Sans oublier l’aspect esthétique. « Le mélange de plantes séchées doit être merveilleusement beau et bon.» Agencement des couleurs, feuilles et pétales restés intacts… C’est à cela que se reconnaît une tisane de qualité.
Proposer des tisanes l’été peut sembler un défi. Pourtant, après une journée de forte chaleur, finir un repas par une tisane artisanale hyper rafraîchissante s’avère simple comme bonjour ! Infusez le mélange quelques minutes, filtrez-le, laissez-le refroidir avant d’ajouter un peu de citron et du sirop d’érable; servez-le tout bien frais.
Cette recette de tisane estivale de Chantal est disponible sur son site foretsetpapilles.com. Pour remplacer les sodas ou toute autre boisson hypersucrée, les tisanes ont tellement de potentiel! Avec un thé du Labrador qui est en fait une tisane et non un thé (lire l’encadré), Chantal suggère de le laisser infuser un peu plus longtemps, soit environ 15 minutes, puis de l’utiliser comme un bouillon pour cuire du riz ou du quinoa. On ajoute un peu de gras, de l’huile végétale ou du beurre, et on assaisonne au goût.
En cuisine, les tisanes peuvent aussi servir à déglacer. On procède comme pour une sauce au thé, mais on verse la tisane dans sa poêle au lieu du thé. Les tisanes peuvent donc servir… à toutes les sauces !
Aborder l’herboristerie différemment
Tisa-barre, tisa-boule, tisa-freeze… Karina Hammond et Nathalie Morand s’amusent à « tisaner» des recettes populaires. Aujourd’hui,
c’est sous la forme d’un Mr. Freeze que je suçote ma tisane artisanale biologique baptisée Roue de secours ! Abricot, gingembre, hibiscus, stévia. Quelle belle idée d’ainsi ensacher des mélanges de plantes séchées!
Contrairement à Chantal Conan, les propriétaires de la tisanerie Mandala (tisaneriemandala.com) ne cueillent pas. Mais les deux entreprises ont comme point commun d’aborder l’herboristerie différemment, plus «goûteusement», et de ne travailler qu’avec des produits de qualité. La tisanerie Mandala s’approvisionne localement en plantes biologiques auprès d’entreprises d’herboristerie faisant office de distributeur (pour certaines plantes importées, comme l’hibiscus) ou de petits cultivateurs.
Les acheteurs de tisanes sont-ils des siroteurs aux cheveux gris? Depuis l’ouverture de leur boutique en 2011, dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve, Karina et Nathalie servent une clientèle jeune. Des 20 ans et plus soucieux de ce qu’ils boivent et peuvent boire sans théine ni caféine.
On se méprend sur les tisanes. Toutes ne facilitent pas le comptage de moutons. Certaines s’avèrent énergisantes. Associer la tisane à la détente, voilà encore un raccourci que nous faisons ! Tout comme ces arômes artificiels très puissants auxquels l’industrie alimentaire nous a habitués. Essayez donc d’infuser des canneberges. Le résultat est pas mal « plate » ! « Avec les tisanes, j’essaie d’emmener les gens ailleurs. Il est possible de conserver leurs propriétés médicinales tout en les utilisant de différentes façons», explique Nathalie, fille d’Abitibi née dans le bois et Hochelaguienne depuis au moins 25 ans.
Son travail consiste à créer des mariages de plantes où chacune, malgré la collectivité, parvient à s’affirmer individuellement, à trouver sa place aromatique. Une démarche similaire lorsqu’on cuisine avec les épices. «Chaque tisane pourrait être servie chaude, froide, glacée ou en dessert. Parmi nos 70 à 80 tisanes proposées, nous avons retenu les plus populaires, notamment celles avec des saveurs fruitées », précise Karina, qui s’occupe de tout ce qui est communication et développement des affaires.
La tisane sous toutes ses formes
En boutique, les deux sympathiques propriétaires me convient à un exercice vraiment intéressant. Goûter à la même tisane créée par Nathalie sous différentes formes: en bouchée de barre tendre sans cuisson, en shooter non alcoolisé servi bien frais, en morceau glacé à suçoter et en version très froide avec de la glace pilée. Ce mélange de plantes séchées, selon la manière dont je l’ai consommé, s’est révélé très différemment.
Moralité. On cuisine encore peu, voire pas du tout avec les tisanes. Barmans, boulangers, cuisiniers, pâtissiers… Qu’attendezvous pour vous amuser avec elles ? Dans un cocktail, une pâte à pain, en mélange à frotter sur une viande ou un poisson, un gâteau… et j’en passe! Comme le thé, la tisane mérite d’être explorée, défrichée en cuisine. Décoincée de la tasse.