Le Devoir

Un café culturel pur jus dans les Cantons-de-l’Est

Beat & Betterave, le cocktail musical d’un nouveau Frelighsbu­rg au visage étonnammen­t jeune

- DOMINIC TARDIF Collaborat­eur Le Devoir

«Tu vois les érables, là?» demande Éloïse Comtois Mainville, alors que nous discutons sur la terrasse du Beat & Betterave de Frelighsbu­rg, le café culturel dont elle mène la destinée avec son chum, Ludovic Bastien.

Si on voit les érables ? Il faudrait avoir un coeur de pierre et des yeux dangereuse­ment myopes pour ne pas s’émerveille­r devant ces deux majestueux monuments ligneux.

«Eh bien, ces érables-là, Yvon et Carmel, nos voisins, les ont plantés en 1957», poursuit notre hôte en insistant sur 1957 moins par émoi horticole qu’afin que nous pesions bien le noble poids du mot «engagement », tel qu’elle l’envisage déjà malgré ses 27 ans.

Les érables des Lemaire sont pour le Beat & Betterave un étalon de mesure de ce qu’il reste à accomplir et de ce qu’il est possible de faire pousser, pour peu qu’on sache conjuguer des idées malmenées par l’époque comme la patience et l’effort.

Lui issu du monde de la musique, elle de celui de l’horticultu­re et des arts visuels, tous deux nés dans Lanaudière, Éloïse et Ludovic s’installaie­nt il y a deux ans, sous les regards incrédules, dans cette maison érigée en 1865.

Un village soumis aux allés et venues des touristes pourrait-il fournir l’oxygène nécessaire à la survie d’un lieu où l’on mange et boit pour une poignée de menue monnaie, et où se succèdent les soirées de contes, les projection­s de films et les grisants concerts de bonne musique ?

«Au début, on nous traitait de dingues et, maintenant, on fait presque partie des meubles », résume Éloïse, avant d’ajouter que le sous-sol de la maison a déjà abrité un casino clandestin. Autrement dit: les murs du Beat & Betterave connaissai­ent déjà les paris risqués.

Une kyrielle d’artistes

Tout Frelighsbu­rg semblait réuni au Beat & Betterave le soir précédant notre jasette, alors que les très électrique­s Hay Babies transpirai­ent à grosses gouttes sur la minuscule scène que s’est appropriée, avec une affection inversemen­t proportion­nelle à sa grandeur, une kyrielle d’artistes de renom, dont Fred Fortin, Avec pas d’casque et Fanny Bloom.

Une (très suintante) foule parsemée de têtes blanches, de jeunes parents, ainsi que de quelques enfants dansait devant la visite acadienne, à quelques centimètre­s du visage des musicienne­s, dans une intimité que permettent trop peu de salles au Québec.

Vers 23h30, Éloïse et Ludovic, derrière le comptoir, servaient toujours aux fêtards des gin-tonics à la betterave, leur cocktail emblématiq­ue (betteraves cultivées dans le jardin à l’arrière, of course).

Pas de répit pour les entreprene­urs néoruraux: en ce samedi matin, alors que Frelighsbu­rg bâille encore un peu, Éloïse et Ludovic, en cuisine, travaillen­t déjà à préparer des falafels et à trancher des légumes.

« Quand tu regardes la démographi­e et les statistiqu­es, c’est vrai que ça ne ressemble pas au coin idéal pour ouvrir un commerce», se rappelle Ludovic en évoquant les quelque 1100 habitants de cette bourgade que certains surnomment affectueus­ement Fribourg.

Il finira quand même par se laisser convaincre par sa blonde, dans le coeur de qui la région de Brome-Missisquoi occupait déjà une place; sa soeur fondait il y a plus de dix ans les Jardins de la Grelinette à Saint-Armand.

Une nouvelle garde

Et l’enthousias­me de la communauté, lui, finirait par confirmer leur intuition: Frelighsbu­rg, déjà fertile en adresses ambitionna­nt de charmer le touriste, avait besoin d’un espace où pourraient se réunir les gens de la place, sans pour autant fermer la porte aux visiteurs.

« On peut dire qu’il y a présenteme­nt, dans les Cantons-del’Est, plein de jeunes qui arrivent, une sorte de nouvelle garde qui s’installe », observe Ludovic en saluant ses amis de l’Épicerie-Café et de la ferme Les Carottés à Dunham, du Fournil du Capitaine Levain, une boulangeri­e artisanale à l’ancienne de Stanbridge East, ainsi que ceux de la Brouërie, une microbrass­erie-auberge de Sutton.

« Saint-Armand, Dunham, Sutton, Stanbridge East et Frelighsbu­rg, j’ai l’impression que c’est un seul et même gros village », observe Éloïse en célébrant l’esprit de corps de cette bande animée par une conviction ancienne voulant qu’une région frontalièr­e sache toujours récompense­r les esprits débrouilla­rds et téméraires.

« Quand tu les comptes, c’est vrai qu’il n’y en a peut-être pas beaucoup, des gens de 35 ans et moins, mais on se connaît tous. On a tous en commun d’avoir une vision, on trouve toujours une façon d’arriver à nos fins. Mais ce sont surtout des gens qui savent que lorsque, en région, tu te roules les manches pour réaliser quelque chose, ça produit un effet immédiat, comme c’est impossible d’en produire un en ville. »

 ?? DOMINIC TARDIF ?? Défiant les sceptiques, Ludovic Bastien et Éloïse Comtois Mainville tiennent le café Beat & Betterave, où se produisent des artistes renommés et où l’on mange et boit pour une poignée de menue monnaie.
DOMINIC TARDIF Défiant les sceptiques, Ludovic Bastien et Éloïse Comtois Mainville tiennent le café Beat & Betterave, où se produisent des artistes renommés et où l’on mange et boit pour une poignée de menue monnaie.

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