Le roman qui pourrait faire saliver Pedro Almodóvar
Une mère, d’Alejandro Palomas, a-t-il vraiment enflammé l’Espagne comme l’affirme son éditeur ?
Sur la quatrième de couverture du roman de l’écrivain Alejandro Palomas, Une mère, son premier livre traduit en français, il est écrit jaune serin sur orange sanguine qu’il s’agit du «roman qui a enflammé l’Espagne».
Sur la couverture dudit livre, il est aussi écrit, de la même couleur, sur fond noir cette fois — le personnage féminin, plaqué sur fond vert lime, le visage couvert de fleurs aux couleurs vives, portant le deuil —, qu’il s’agit d’une «comédie familiale déjantée et touchante, digne d’Almodóvar».
Cette deuxième affirmation, on veut bien la croire. Après quelques pages, on imagine très bien la grande Carmen Maura interpréter sous la direction du brillant cinéaste madrilène cette Amalia, 65 ans, récemment divorcée, qui reçoit le soir de la Saint-Sylvestre, dans son appartement de Barcelone, son fils Fernando, ses filles Silvia et Emma, Olga, l’amoureuse de cette dernière, et l’oncle Eduardo.
Presque aveugle, possédant le don de se mettre les pieds dans le plat, Amalia inquiète beaucoup ses proches avec ses propos farfelus et ses sempiternelles gaffes. Pourtant, elle est bien moins à côté de ses pompes que sa progéniture, comme le révéleront de nombreux épisodes où l’humour désopilant fera place à la plus vive émotion. Engueulades, réconciliations, fous rires, sanglots étouffés, femmes au bord de la crise de nerfs, hommes largués: le menu que propose Palomas de la première à la dernière page de ce roman haut en couleur pourrait bien faire saliver Almodóvar.
Toutefois, la première affirmation nous chicote. Ce roman publié en 2014 aurait-il vraiment enflammé l’Espagne ou ne serait-ce pas l’éditeur français qui s’est enflammé ? Petit coup de fil à la librairie Las Americas. On nous répond qu’on n’a jamais entendu parler de ce roman ni de ce romancier et, pourtant, dans cette librairie espagnole du boulevard Saint-Laurent, on suit l’actualité littéraire d’Espagne et on sait ce qui peut plaire aux lecteurs d’ici.
Qui dit vrai?
Après avoir contacté par écrit une douzaine de critiques littéraires d’Espagne et de professeurs d’ici spécialisés en littérature espagnole, nous apprenons que la moitié ayant daigné nous répondre n’a jamais eu vent de la parution de ce roman ni ne connaît l’existence de cet auteur. Puis, nous parvient après quelques jours d’attente la réponse d’Anna Maria Iglesia. Non seulement cette doctorante en théorie littéraire a lu Une mère, mais elle a interviewé Alejandro Palomas pour le site littéraire Núvol.
«Le livre a réellement connu un énorme succès, il s’agit d’un best-seller, affirme Anna Maria Iglesia. On parle ici de littérature populaire, c’est peut-être parce qu’elles ne sont pas intéressées par la littérature populaire que les personnes à qui vous avez parlé ne connaissent pas Alejandro Palomas ni Une mère. »
Mystère résolu! Il s’agirait donc d’un roman à succès snobé par l’intelligentsia espagnole. « C’est un bon roman, affirme l’étudiante en lettres. Les thèmes et les personnages qu’on y retrouve sont récurrents dans la littérature populaire. Ce n’est pas un roman propre à intéresser ceux qui préfèrent une
littérature plus nichée, plus expérimentale.»
Un Catalan, sa Catalogne
Best-seller ou pas, Une mère d’Alejandro Palomas a ceci de particulierqu’il s’agit à l’origine d’un roman écrit en espagnol par un auteur catalan. «La question de la langue est assez complexe, mais elle est au coeur des discussions politiques et non dans les choix littéraires. Il y a donc plusieurs écrivains catalans qui écrivent en espagnol et plusieurs Catalans qui lisent des romans en espagnol sans se soucier des questions politiques », explique Anna Maria Iglesia.
Si l’éditeur n’a pas menti sur le succès d’Une mère en Espagne, que pense Anna Maria Iglesia de la comparaison qu’il fait avec le cinéma d’Almodóvar ? «Il est vrai que le personnage de la mère peut faire penser à un personnage d’Almodóvar, mais ce roman n’est pas matière à controverse comme ses films, il n’est pas du tout à caractère sexuel. On y dépeint la vie normale des hétérosexuels. Je ne pense donc pas que le roman de Palomas s’inscrit dans la veine des films d’Almodóvar. »
Pourtant, deux des enfants d’Amalia sont homosexuels et l’oncle Eduardo fait croire qu’il s’est épris d’une beauté portugaise, qui est en réalité un travesti. Cet épisode amènera d’ailleurs la mère à se lancer dans un plaidoyer confus sur la diversité sexuelle sous le regard ahuri de tous.
« C’est vrai qu’il y a des personnages gais, mais c’est tout simplement parce que l’auteur est gai. Le roman n’illustre pas le mode de vie des homosexuels. Fernando a beau être gai, on ne sent pas vraiment qu’il l’est. Il pourrait tout aussi bien être hétérosexuel. »
Alors qu’Anna Maria Iglesia semble presque douter de l’orientation sexuelle de Fernando, en revanche, le personnage d’Amalia paraît trouver grâce à ses yeux : « C’est un portrait plutôt crédible d’une femme ayant grandi sous le régime de Franco, qui a reçu une assez bonne éducation et qui a fait tout ce qu’elle a pu pour élever ses enfants et continuer à veiller sur eux après leur départ de la maison. Cela dit, le roman colle plus ou moins à la réalité espagnole globale, il s’agit plutôt d’une peinture de la classe moyenne, je dirais même de la classe moyenne inférieure. » UNE MÈRE Alejandro Palomas Traduit de l’espagnol par Vanessa Capieu Cherche midi Paris, 2017, 311 pages