Salma Hayek mène le bal dans une satire grinçante
Beatriz at Dinner ne fait qu’une bouchée de l’Amérique blanche et privilégiée
BEATRIZ AT DINNER ★★★★
Satire de Miguel Arteta. Avec Salma Hayek, Connie Britton, John Lithgow, Chloë Sevigny. États-Unis, 2017, 79 minutes.
Il y a quelque chose de jubilatoire dans le spectacle d’une actrice trop souvent sous-estimée, ou trop peu utilisée, qui trouve enfin un rôle à sa mesure. C’est cette euphorie-là que l’on ressent en voyant Salma Hayek mener le bal cinématographique dans le film Beatriz at Dinner, une satire grinçante qui multiplie les niveaux de lecture.
L’intrigue est toute simple. On y suit une massothérapeute d’origine mexicaine, Beatriz, qui, après un bris de moteur de sa voiture, est invitée par une riche cliente à rester souper. La magnifique villa construite face à la mer dans une communauté fermée constitue le décor principal du film, qui rappelle d’office que l’océan a beau être à tout le monde, la jouissance de sa vue n’appartient qu’à quelques-uns.
Beatriz vit un douloureux éveil au cours de cette soirée, témoin privilégié — et effaré — qu’elle est des turpitudes d’une Amérique blanche, privilégiée et raciste sous couvert d’ouverture. On pense fugitivement à Buñuel, plus pour L’ange exterminateur que pour Le charme discret de la bourgeoisie. Comme les personnages du premier film, Beatriz est «prisonnière» de ce repas, de ce lieu, prémisse prétexte à une allégorie sociopolitique.
Choc et tension
Le choc des cultures entre Beatriz, sorte de Candide tenante des 99%, et Doug, un convive milliardaire représentant quant à lui le proverbial 1%, engendre autant de rires que de malaises, souvent simultanés. Chassée de son village, enfant, par un développement immobilier illégal, Beatriz défend des valeurs humanistes et spirituelles. Doug, à l’inverse, se gausse de sa capacité à faire fi des lois.
L’opposition des deux discours, avec en toile de fond une bande de grands bourgeois d’une superficialité mortifère, est implacable. Cela, grâce au scénario de Mike White, d’une redoutable efficacité dans la simplicité de sa construction.
On sent la tension sourdre à mesure qu’il devient évident que la présence de Beatriz perturbe l’ordre établi — la musique de Mark Mothersbaugh, faussement légère, à l’instar de la sollicitude factice de la maîtresse de céans, fait à cet égard merveille.
Hayek au centre
À un autre niveau, le film est aussi, intrinsèquement, une critique d’une industrie qui écarte du haut de l’affiche les minorités et les actrices de plus de 40 ans. Salma Hayek, inoubliable dans le drame biographique Frida, incarne ces deux préjudices. Entre des rôles secondaires et des caricatures «ethniques» ou « sexy », la douée comédienne de 50 ans n’a guère eu de bons rôles à se mettre sous la dent ces dix dernières années, hormis dans la coproduction chorale Le conte des contes.
Beatriz at Dinner frappe entre autres l’imaginaire parce que le film place sciemment l’actrice mexicaine au centre d’une distribution caucasienne qui est là, pour une fois, en soutien.
Tout le monde est fabuleux, dont Chloë Sevigny qui hérite de répliques particulièrement savoureuses, mais c’est Salma Hayek qui domine, avec une force tranquille et un naturel tel qu’on ne remet jamais en question l’absolue sincérité de Beatriz.
Liberté et audace
Antithèse de la mégaproduction blanche (ou blanchie) type qui obnubile Hollywood, à une poignée d’exceptions près, Beatriz at Dinner rappelle en outre l’importance du cinéma indépendant, plus libre, plus audacieux.
Réalisateur d’Ados en révolte, Miguel Arteta s’accommode très bien d’un budget modeste, corollaire desdites liberté et audace. Fort d’une excellente histoire, il ne tente ni esbroufe technique ni distraction formelle, optant plutôt pour une concision en phase avec celle du scénario.
Les lents travellings avant «hannekiens» se multiplient, de même que les plans-séquences en caméra à l’épaule qui mettent l’accent sur le déséquilibre qu’engendre la rencontre improbable entre Beatriz et ses voisins de tablée.
Une tentative de donner un moment de catharsis au personnage, et surtout au spectateur, vers la fin, échoue. Heureusement, le film se reprend lors du dénouement en se terminant, comme il a commencé, sur une note poétique. Voilà, en somme, un souper à ne pas manquer.