Nézet-Séguin rajeunit Mendelssohn
Le chef décape les Symphonies avec brio pour Deutsche Grammophon
Deutsche Grammophon a choisi Yannick Nézet-Séguin pour succéder à Herbert von Karajan et Claudio Abbado. Le Québécois est le troisième chef à se voir confier par l’étiquette jaune une intégrale discographique Mendelssohn. Et il y surpasse ses prédécesseurs haut la main !
Les cinq Symphonies de Mendelssohn par Yannick Nézet-Séguin publiées en disque par Deutsche Grammophon ont été enregistrées lors de concerts donnés en février 2016 à la Philharmonie de Paris. Ils documentent l’une des associations ferventes du chef québécois qui, outre ses mandats à Montréal, Rotterdam, Philadelphie et, désormais, New York, cultive des relations privilégiées avec l’Orchestre symphonique de la Radio bavaroise, les Orchestres philharmoniques de Vienne et de Berlin, et l’Orchestre de chambre d’Europe (OCE), que l’on entend ici. Issu de l’Orchestre des jeunes de la Communauté européenne, et fortement soutenu par Claudio Abbado dès sa création en 1981, l’OCE a notamment travaillé de manière soutenue avec Nikolaus Harnoncourt. Il a enregistré les Symphonies de Schubert avec Abbado, celles de Brahms avec Paavo Berglund. Mendelssohn est, après Schumann, une seconde rencontre symphonique avec Yannick NézetSéguin, avec lequel l’OCE collabore dans les opéras de Mozart.
Mendelssohn écrémé
Pour le discophile comme pour le commentateur, trois «champs esthétiques» orchestraux couvrent désormais les musiques symphoniques de Mozart (17561791) à Brahms (1833-1897), en passant donc par Haydn, Beethoven, Schubert, Mendelssohn et Schumann: les orchestres symphoniques traditionnels, les orchestres sur instruments anciens et les orchestres de chambre.
Alors, que compare-t-on? Est-il vraiment utile de mesurer les nouveaux venus à Karajan et au Philharmonique de Berlin? Ce serait inutile de toute façon, puisque ces derniers ont à peu près tout faux en matière de Mendelssohn, dont ils ne comprennent ni l’allant ni la transparence.
L’affiche «Yannick-OCE» est porteuse en elle-même de ce que l’on va entendre : on sait qu’il va y avoir des accents, de la clarté, de l’énergie et des phrases qui fusent. On sait aussi que l’entente entre l’OCE et le chef québécois est parfaite: il y a donc émulation mutuelle et une joie de faire de la musique qui convient idéalement à Mendelssohn.
La vision de Yannick Nézet-Séguin représente le regard moderne qu’on attend, un peu comme ces mets cuisinés avec 30% de matière grasse ou de sucre en moins. C’est très intéressant, voire passionnant. Le simple « air du temps » n’est pas le seul atout de la nouvelle intégrale. Il y a aussi de vrais choix, dont le plus important est celui des partitions de l’édition critique de Christopher Hogwood (Bärenreiter) pour les Symphonies n° 3 à 5. L’apport original majeur est une grande cadence aux flûtes qui prépare le choral «Ein Feste Burg» du Finale de la 5e Symphonie, passage inouï que l’on découvre.
Par rapport à d’autres versions récentes de même obédience (Gardiner-LSO, intégrale en cours) les phrasés de Nézet-Séguin et les textures de l’OCE sont plus intéressants.
Autres visions
Sur le plan du choix discographique, il faut souligner que les vraies intégrales sont rares, puisque la Symphonie n° 2, grande réussite du cycle de Yannick Nézet-Séguin, avec la participation soliste de Karina Gauvin, est une symphonie chorale, rarement enregistrée.
Des quatre intégrales qui se démarquent désormais — Sawallisch-Philips, Masur II (Teldec), Flor-RCA et Nézet-Séguin —, la nouvelle venue est la seule avec un effectif orchestral réduit. Mais ce n’est pas parce que les trois autres chefs dirigent des formations symphoniques plus cossues qu’ils sont lourdingues pour autant.
La vision de Yannick Nézet-Séguin est a priori très séduisante, mais ce n’est ni une révolution ni la seule possible. Alors que le chef québécois fait chanter les phrases dans la 2e Symphonie, il s’intéresse de manière à mon avis trop univoque à la scansion et l’accentuation dans les symphonies plus connues.
C’est un Mendelssohn qui enthousiasmera beaucoup d’auditeurs, car il est racé et juvénile, mais ce n’est pas tout à fait «mon» Mendelssohn, compositeur dans lequel je vois avant tout un chanteur, suprêmement incarné dans le motet Richte mich Gott (psaume 43) [www.youtube.com/watch?v=pb7Nfj PMCqI]. «Mon» Mendelssohn est le lien entre Bach et Brahms (le pendant brahmsien de Richte mich Gott est Wo ist ein so herrlich Volk [www.youtube.com/watch?v=hfqCa2 rVWnE]).
De ces exemples de musique chorale, on déduit une pulsation et un cantabile organique qui forment un liant. Cette respiration des phrases est cultivée dans la tradition est-allemande des intégrales Masur-Leipzig (Teldec) et Flor-Bamberg (RCA), qui restent mes deux préférées dans cet ordre, la première trônant sur la discographie. Yannick Nézet-Séguin vient proposer un autre regard, «moderne». Actuel et durable ou mode d’un instant ?