Le Devoir

La belle et le boucher

The Bad Batch confirme les dons d’Ana Lily Amirpour pour créer des visions fascinante­s

- FRANÇOIS LÉVESQUE

THE BAD BATCH (V.O.)

Science-fiction d’Ana Lily Amirpour. Avec Suki Waterhouse, Jason Momoa, Giovanni Ribisi, Jim Carrey, Keanu Reeves, Diego Luna. États-Unis, 2017, 115 minutes.

Chaque année, des centaines et des centaines de premiers films se disputent l’attention des festivals. Du lot, une poignée seulement suscite un engouement, voire réussit à attirer l’attention. On perçoit alors une sensibilit­é inédite, une originalit­é, et on espère dès lors qu’un cinéaste est né. Il arrive, la plupart du temps, que cette promesse ne soit pas tenue, mais lorsqu’elle l’est, on attend avec impatience chaque nouveau film de l’auteur en question. Avec The Bad Batch, l’Américaine Ana Lily Amirpour en est à ce moment charnière du second film après le succès d’estime de son splendide A Girl Walks Home Alone at Night.

Alors, promesse tenue? De façon générale, oui, mais avec des bémols. Pour mémoire, A Girl Walks Home Alone at Night

contait, en noir et blanc, et en persan, les pérégrinat­ions nocturnes d’une jeune vampire voilée dans un no man’s land urbain anonyme et confiné. Beau, insolite, ce premier long métrage eut l’heur d’envoûter.

Sans grande surprise, Ana Lily Amirpour va cette fois aux antipodes formels. Ainsi The Bad Batch, ou les péripéties futuristes d’une jeune femme lâchée dans une zone désertique où prévaut la loi du plus fort, affiche-t-il des couleurs franches sous un soleil de plomb.

On se trouve en l’occurrence à la frontière du Texas, où toutes les personnes jugées «indésirabl­es », telle l’héroïne, sont expulsées de l’autre côté d’un mur au-delà duquel s’est constituée une microsocié­té.

Bonbon pour geeks Avec son décor postapocal­yptique kitsch, son cannibalis­me (eh oui!) et ses personnage­s secondaire­s diversemen­t fêlés, The Bad Batch s’impose de prime abord comme un pastiche de quantité de séries B cultes telles Apocalypse 2024 (A Boy and His Dog), Les nouveaux barbares (The New Barbarians), Le drive-in de l’enfer (Dead-End Drive-In), Cherry 2000 et, bien sûr, Mad Max. Le jouissif Turbo Kid, du trio québécois Roadkill Superstars, s’inscrivait déjà dans cette mouvance.

C’est du bonbon pour geeks. Prise comme un exercice de style, la propositio­n est extrêmemen­t soignée, la cinéaste réaffirman­t un sens aigu de la compositio­n.

Viennent ensuite les velléités allégoriqu­es, avec cette prémisse et ce mur tout à fait dans l’air du temps de l’ère Trump.

Or, force est de l’admettre, ce volet qui s’annonçait pourtant le plus intéressan­t se révèle, au mieux, superficie­l. Malgré sa durée de près de deux heures, le film n’a en effet pas grandchose de significat­if à dire sur le sujet.

Ténue, l’intrigue tient à une succession de séquences visuelleme­nt très fortes, mais d’une valeur dramatique variable.

Distributi­on hétéroclit­e

La distributi­on est hétéroclit­e, c’est le moins que l’on puisse dire. Ainsi, Keanu Reeves, habituelle­ment héros de gros films d’action, se la joue-t-il gourou patenté, pendant que Jim Carrey, méconnaiss­able sous sa barbe hirsute, arpente des monceaux de détritus en marmonnant. Sans oublier Jason Momoa (Game of Thrones), ici peintre et boucher, pour qui la protagonis­te se prend d’affection.

Cette dernière est incarnée par la mannequin et actrice Suki Waterhouse, qui réussit à imposer la force tranquille d’un personnage très peu loquace.

Tous se glissent avec aisance dans cet univers insolite mais familier, la réalisatri­ce ayant à l’évidence su harmoniser le niveau de jeu.

À terme, ce deuxième film confirme les dons d’Ana Lily Amirpour pour créer des visions fascinante­s, mais peut-être gagneraite­lle à solliciter la collaborat­ion de coscénaris­tes dans le futur. Un futur, on le croit toujours, plein de promesses.

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Suki Waterhouse

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