Le Devoir

Parcelles de Québec

L’exode silencieux de milliers d’AngloQuébé­cois raconté par l’un d’entre eux

- ANDRÉ LAVOIE

QUÉBEC MY COUNTRY MON PAYS

Documentai­re de John Walker. Canada, 2016, 89 minutes.

Est-il possible de faire la révolution lorsque tout le monde possède une piscine? Avec son suave cynisme habituel, le cinéaste Denys Arcand répond par la négative au documentar­iste John Walker, lui qui s’intéresse au mouvement indépendan­tiste et à son impact sur l’exode des AngloQuébé­cois entre les coups d’éclat du FLQ dans les années 1960 jusqu’aux remous du référendum de 1995.

Walker fait partie de ceux qui furent placés devant un cruel dilemme à la suite de la transforma­tion rapide des Canadiens français en Québécois et de la poussée de fièvre d’une population lasse de jouer les porteurs d’eau: partir ou rester? Sa famille, heureux mélange d’Irlandais et d’Écossais, était au Québec depuis 250 ans, une raison parmi tant d’autres de se sentir chez soi, même si sa langue l’associait au conquérant britanniqu­e, aux «maudits Anglais». Pas de place pour les nuances dans les débats enflammés d’une société en ébullition qui allait faire table rase du pouvoir religieux et quelques pieds de nez à l’establishm­ent réfugié dans le Mille carré doré.

Dans Québec My Country mon pays, Walker adopte une perspectiv­e intimiste. Né en 1952 à Mont-Royal, il grandit dans un espace protégé où il n’entend pas la colère qui gronde, jusqu’au moment où sautent les premières bombes, où fusent les premières insultes de ses camarades joueurs de hockey des équipes francophon­es de Montréal sur les patinoires extérieure­s. S’installe alors un sentiment d’aliénation que d’autres connaissen­t déjà: être minoritair­e au sein d’une majorité ellemême minoritair­e dans son pays. Dans ce contexte paradoxal, voire schizophré­nique, un dialogue est-il possible ?

Pour les 600 000 Anglo-Québécois qui ont pris la route vers Toronto (ce que Walker fera brièvement au début des années 1970) ou ailleurs au Canada, la perspectiv­e d’un Québec indépendan­t semble dangereuse. Le cinéaste illustre ces remous, et cette ferveur, par quelques discours enflammés de René Lévesque, s’appuyant sur le témoignage de l’ex-policier Robert Côté, lui dont la tâche était de désamorcer des bombes à Westmount, indicateur bruyant d’une fièvre révolution­naire.

John Walker prend soin d’insister sur les raisons de cette colère, qu’il partage en partie (ne serait-ce qu’en votant pour le Parti québécois en 1976), affichant vite une désillusio­n devant un projet social-démocrate qu’il juge perverti par les lois linguistiq­ues. Quand il entend «Le Québec aux Québécois!» il se sent exclu, et son père bien davantage, parti avec l’amertume comme bagage, provoquant quelques fissures au sein de sa famille.

Entre les propos de Jacques Godbout, de Louise Pelletier (scénariste et fille de Gérard Pelletier) et de Paul Warren, ceux de collègues, de parents et d’amis anglophone­s qui ont fait le choix de rester (mais qui songent à partir ou ne blâment pas ceux qui bouclent leurs valises), John Walker établit une histoire parcellair­e, partiale, mais étonnante, du Québec.

Celle-ci s’étale avec transparen­ce, sans désir de consensus et avec quelques omissions (l’important financemen­t public de l’Université McGill et du CSUM semble faire fi des clivages linguistiq­ues), collection de témoignage­s émouvants sur une relation ambiguë, à l’image d’une société écartelée entre ses multiples identités. Dont celle de ses compatriot­es anglophone­s.

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RAPIDE BLANC Le cinéaste John Walker en entretien avec Jacques Godbout

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