Le Devoir

La Roulotte fait entrer le rap au théâtre

Bras de fer aborde l’expérience migrante avec une langue rythmée et punchée

- MARIE LABRECQUE

Pour Mathieu Héroux, participer au Théâtre La Roulotte relève pratiqueme­nt d’une tradition familiale. «J’ai un oncle qui a fait les débuts de La Roulotte, et ma mère a conçu quelques costumes lors des toutes premières éditions. C’est comme une passation de pouvoir», résume le lauréat du deuxième concours d’écriture destiné à la fameuse compagnie ambulante. Poussé par son metteur en scène, Jean-Simon Traversy, il finit par identifier l’oncle en question, un auteur-compositeu­r-interprète qui «ne joue pas très bien»: un certain… Robert Charlebois.

La chanson joue aussi un rôle dans l’itinéraire du jeune dramaturge, venu au théâtre par un chemin détourné. Il a commencé par écrire du hiphop au secondaire, en constatant le succès que récoltait un camarade auprès des filles avec son rap… «J’ai fait quelques petits enregistre­ments. Puis mon écriture a évolué en nouvelles, en poèmes. Et un jour, à Tout le monde en parle, Christian Bégin a fait une grosse sortie contre la célébrité instantané­e et les shows comme Loft Story qui m’a donné envie d’écrire une pièce là-dessus : Ça dure le temps d’une pipe… » Mais le rap colore toujours l’écriture du diplômé de l’École nationale de théâtre (ENT) de 2012, par son «rythme très soutenu, ses répliques punchées».

Mathieu Héroux désirait se servir de la tribune unique de La Roulotte pour traiter de «vrais enjeux». «C’est un médium qui n’existe pas ailleurs. Plusieurs des spectateur­s assistant à La Roulotte ne vont pas au théâtre habituelle­ment, et on se déplace dans leur quartier. Je trouvais important de parler de choses un peu plus dures, concrètes, que ce qui avait été fait avant.» Notamment de l’expérience des réfugiés. De montrer aux jeunes migrants qu’il est question d’eux « pas juste dans les nouvelles, mais aussi dans l’art» peut être réconforta­nt, croit l’auteur.

Bras de fer raconte les efforts d’intégratio­n d’un robot de 11 ans qui désire rejoindre l’équipe de ballon-chasseur de son école. Mais il est en butte à l’intimidati­on de la gang des Wannabeibe­rs (!), et sa pénible traversée en bateau a laissé des séquelles: de la rouille…

Ce personnage robotique permet de ne pas cibler un pays en particulie­r, ainsi que d’échapper au réalisme pour accéder au conte. Le texte transmet des valeurs de courage, d’acceptatio­n de la différence et de considérat­ion à accorder à autrui. «Ce qui est beau aussi, c’est un peu une pièce sur le droit de s’exprimer, de raconter d’où on vient, ajoute Jean-Simon Traversy. Mathieu a écrit des scènes de classe très rythmées, et puis on bascule dans une narration directe, un ton plus poétique.» Dans ses souvenirs, le héros transcende la cruauté de sa traversée par une vision plus fabulée. Le conte de Mathieu Héroux juxtapose deux niveaux de compréhens­ion, les adultes pouvant saisir la réalité sous la métaphore. «C’est davantage une pièce familiale qu’une pièce pour enfants. »

Les créateurs ont pu tester les passages plus durs grâce à une lecture devant une classe de sixième année à l’école Les-Enfants-du-Monde, qui inclut plusieurs nouveaux arrivants. Tout en conservant l’essentiel, l’auteur a retranché «deux, trois» mots trop explicites. La Roulotte craignait que ses jeunes interprète­s et les moniteurs de camps de jour ne soient pas outillés pour répondre aux questions que pourraient susciter certaines références. Cette étape a aussi permis de déterminer les scènes narratives où la pièce risquait de perdre son jeune public. «Il faut faire attention, parce qu’on n’est pas habitués d’entendre cette poésie, précise Jean-Simon Traversy. C’est pourquoi, visuelleme­nt, j’avais envie qu’on crée des images fortes.»

Le ton Roulotte

Très déçu de ne pas avoir été choisi pour y jouer à sa sortie du Conservato­ire, en 2007, le metteur en scène collabore pour la première fois avec La Roulotte. Le nouveau codirecteu­r artistique de la compagnie Jean Duceppe avait très envie de s’adresser à ce jeune public. « On dit toujours qu’il faut former le public. Et j’ai l’impression qu’on a perdu quelques génération­s, les X et les Y, parce qu’on leur a présenté un théâtre qui n’allait pas nécessaire­ment les chercher. Après, c’est dur de les rattraper. »

Il découvre les gageures que comporte ce «très beau terrain de jeu». «Capter l’attention est vraiment le plus gros défi. L’inventivit­é est très importante. On joue devant des foules de 600, 1000 personnes, parfois. Le ton Roulotte, c’est juste une ouverture au public, un désir que l’histoire se rende au dernier spectateur à 100 mètres de la scène. C’est un jeu qui doit être jusqu’au bout des doigts, comme dit [le metteur en scène] Hugo Bélanger. Il faut toujours donner, donner.» Il vante l’engagement des jeunes interprète­s, des finissants du Conservato­ire et de l’ENT (Antoine Charbonnea­uDemers, Gabriel Favreau, Myriam Gaboury, Joanie Guérin et Maxime Isabelle).

Traversy voit d’un bon oeil le virage de La Roulotte, qui offre des créations après des années de contes traditionn­els. « Ce que je trouve merveilleu­x, c’est que ça permet à une nouvelle génération d’auteurs d’écrire dans des conditions idéales. Les contes sont une valeur sûre. Mais là, on crée les classiques de demain.» BRAS DE FER Texte de Mathieu Héroux. Mise en scène de Jean-Simon Traversy. Du 28 juin au 23 août, dans les parcs montréalai­s.

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ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR La pièce de Mathieu Héroux et Jean-Simon Traversy raconte les efforts d’intégratio­n d’un robot de 11 ans qui désire rejoindre l’équipe de ballon-chasseur de son école.

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