Entre naufrage, ruines fraîches et Grand Nord
Des jeunes à la porte de l’oubli et la poésie du Canadien Geoffrey Farmer habitent l’événement artistique
ÀVenise, ces jours-ci, l’art déborde de partout. En parallèle, à la Biennale de Venise, dans les deux lieux de la Fondation Pinault — au Palais Grassi et à la Punta della Dogana —, la vedette mondiale de l’art Damien Hirst expose les restes d’un faux naufrage, celui d’un bateau qu’il aurait retrouvé et qui aurait contenu des oeuvres de l’Antiquité. Des oeuvres souvent monumentales, très kitsch et clinquantes, dignes des superproductions de Cecil B. DeMille, du péplum fantastique Jason et les Argonautes (1963) ou des salles de cinéma néoégyptiennes qui pullulèrent dans les années 1920. Et ça sent en effet le naufrage…
Les Giardini, l’un des deux lieux centraux de la Biennale de Venise, qui se tient jusqu’au 26 novembre — géant et vertigineux porte-conteneurs de l’art contemporain qu’est devenu cet événement —, semblent eux aussi prendre un peu l’eau. C’est une année très moyenne. Déjà, le titre — Viva Arte Viva — est plutôt vague et bateau. Cela tourne autour de la notion d’humaniste, sans que cela soit bien clair.
La commissaire, la Française Christine Macel — conservatrice au Musée Pompidou à Paris —, a décidé de donner beaucoup de place à de «jeunes» artistes — 85% en sont à leur première Biennale —, artistes qui, à l’évidence, ne sont pas toujours assez aguerris et qui, pour plusieurs, sombreront vite dans l’oubli. Et les pavillons nationaux ne sont guère mieux, à quelques exceptions près…
La commissaire semble avoir bien mieux réussi son coup à l’Arsenal, deuxième grand lieu de la Biennale, où les oeuvres sont regroupées autour de thèmes plus significatifs, comme le pavillon de la Terre, centré sur l’environnement et les utopies planétaires…
Fontaine de jouvence ?
Dans ce contexte, comment s’en tirent les artistes canadiens? Geoffrey Farmer, qui s’était entre autres fait remarquer lors de la Documenta de Cassel de 2012 avec sa formidable installation-collage Leaves of Grass — composée de 16 000 images tirées des numéros de la revue Life publiée entre 1935 et 1985 —, occupe le pavillon du Canada, alors que des travaux de restauration sont en cours. Les travaux ont été interrompus et seront achevés l’an prochain.
Ce pavillon a toujours été un cauchemar pour les artistes, et la très grande majorité d’entre eux ont vu leur création se briser sur l’écueil qu’il représente. Le titre donné par Farmer à son intervention — Une issue à travers ce miroir — pourrait faire référence au bâtiment lui-même et aux travaux qui s’y tiennent. Ce pavillon est d’ordinaire une étrange spirale, où se multiplient les panneaux de verre qui, par leurs reflets, interfèrent souvent avec la lecture des oeuvres. Grâce à ces travaux, le bâtiment va être enfin restauré et réaménagé (au coût de 3 millions de dollars) afin qu’il puisse obtenir une fonctionnalité accrue.
Farmer n’a pas essayé de masquer l’état des travaux… Il a plutôt élaboré une sorte de ruine fraîche. Le bâtiment de la Biennale semble avoir subi un accident, s’être effondré après un tremblement de terre ou un tsunami, ce qui aurait fait éclater toute la tuyauterie. Le pavillon se trouve donc comme inondé de tous côtés. Farmer en profite pour faire une sorte de collage, non pas d’images, mais d’éléments formels (des amas de planches de bois, une fontaine jaillissant comme un geyser, un duvet abandonné sur le sol, un extrait de texte du poète Ginsberg…), le tout faisant référence à différents souvenirs troublants de sa vie.
Dans un texte de présentation, Farmer fait un lien avec son grand-père, à son camion plein de planches de bois qui entra en collision avec un train. Mais Farmer y parle aussi de ses «yeux s’emplissant de larmes à l’annonce de la mort de Luca» et du « souvenir de la dernière cigarette qu’il [lui] a offerte et [qu’il a] fumée à côté de la porte qui sera bientôt retirée dans le côté du pavillon ». Une installation poétique qui, visuellement, semblera un peu décousue, mais qui est riche en symboles.
Pootoogook et Shaw
Cette année, plusieurs autres artistes du Canada sont présents à la Biennale de Venise. On notera les dessins de Kananginak Pootoogook (mort en 2010) qui montrent les changements vécus par les habitants du Grand Nord à la suite des interventions des Blancs. Pootoogook nous décrit entre autres la pêche aux baleines ou aux morses…
On signalera aussi et surtout la participation de Jeremy Shaw, qui met en scène les dérives émotionnelles que vivent, en Occident, les individus qui se plongent dans des états de transe religieuse ou spirituelle.