Le Devoir

René Lévesque dans l’urgence de l’être

Le politicien se met à nu dans une série de textes oubliés

- MICHEL LAPIERRE Collaborat­eur

En 1970, René Lévesque, à la tête du Parti québécois, est vaincu dans sa circonscri­ption même si le PQ fait élire sept députés. Les sommes qu’il devra verser à sa femme, de qui il se sépare, rongeront sa pension d’ex-ministre libéral. Pour subvenir à ses besoins, il redevient journalist­e. Dès sa première chronique, le ton est donné : «Je n’ai jamais pu croire que berner les gens sciemment soit compatible avec un rôle de responsabi­lité publique!»

Tout en ouvrant, par souci de rentabilit­é, les pages du Journal de Montréal, dont il est le propriétai­re, à des chroniqueu­rs des grandes tendances politiques québécoise­s, Pierre Péladeau, par conviction­s indépendan­tistes, vient de demander à Lévesque de tenir la chronique la plus considérab­le. Le journalist­e de 48 ans aura la lourde tâche, six fois par semaine, d’y promouvoir «l’accession à l’indépendan­ce politique», évidence « chaque jour plus nécessaire et plus urgente », d’après son article d’ouverture.

Les historiens Éric Bédard et Xavier Gélinas établissen­t et présentent cette gigantesqu­e somme de textes presque oubliés du public et dont la périodicit­é serrée s’étend de juin 1970 à décembre 1971. «Très imparfaite­ment», selon son humilité légendaire, Lévesque commence par y résumer l’objectif du PQ, qui est aussi l’idéal le plus intime du leader : «Une démocratie soucieuse avant tout de justice sociale, de liberté normale pour un peuple qui en a amplement l’âge et la capacité.»

« Une vraie langue de travail, c’est une langue rentable. Pour une majorité pauvre, ça ne vient que si » la majorité est chez elle et que tout le monde le sait. Extrait de

Des cibles notoires

Il donne libre cours à son style coloré en s’en prenant à Pierre Elliott Trudeau, premier ministre du Canada: «Désormais se maintienne­nt les seules vertus de l’erre d’aller et de la peur du changement, assaisonné­es au besoin de quelques excitation­s trudeaulât­res, LSD du fédéralism­e. » Pour lui, Robert Bourassa, premier ministre du Québec, est «une cigale économique» chantant «des berceuses pour enfants arriérés qui rappellent celle d’un autre célèbre illusionni­ste, Maurice Duplessis ».

Ce qui ne l’empêche pas de Chroniques politiques condamner sans appel des militants du Front de libération du Québec qui viennent d’assassiner son ex-collègue libéral Pierre Laporte: « Ils ont importé ici, dans une société qui ne le justifie absolument pas, un fanatisme glacial et des méthodes de chantage à l’assassinat qui sont celles d’une jungle sans issue.» Il avoue, en 1971, n’avoir découvert que sur le tard, chez les indépendan­tistes radicaux mieux éclairés, le poète Gaston Miron, qu’il juge « agressivem­ent structuré contre vents… d’octobre».

Le sens aigu de la normalité démocratiq­ue n’éteint pas chez Lévesque le sens du tragique cher à Miron. Ce que l’Angleterre fit jadis à l’Irlande reste « l’un des cas de barbarie collective les plus répugnants et persistant­s de l’histoire des peuples dits civilisés», rappelle-t-il comme une leçon à un Québec pourtant en bien meilleure posture. CHRONIQUES POLITIQUES TOME 2: 1970-1971

René Lévesque Sous la direction d’Éric Bédard et Xavier Gélinas Hurtubise Montréal, 2017, 1136 pages

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ALAIN RENAUD LE DEVOIR René Lévesque parlant aux journalist­es le 20 octobre 1976, au cours de la campagne électorale qui l’a porté au pouvoir

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