Le goût amer laissé par le défilé montréalais de la fête nationale
D’entrée de jeu, je dois dire que je n’ai pas pris part au défilé de la Saint-Jean de Montréal. Comme pour plusieurs, l’image du tableau d’ouverture sous le thème «Gens du pays…» m’est parvenue à travers les médias sociaux.
De nombreux internautes et des spectateurs qui ont assisté au défilé de la Saint-Jean, samedi à Montréal, se sont, à juste titre, indignés en voyant des jeunes hommes noirs pousser des chars allégoriques. Il est vrai que le tableau, du point de vue symbolique, était désolant et regrettable. Une image vaut mille mots et celle-ci était frappante et renvoyait à une scène ponctuée d’anachronismes.
Je vous dirais que mon indignation tout comme mon questionnement sont d’un tout autre ordre. À ce titre, j’ouvre brièvement la parenthèse sur un autre cas tout aussi polémique survenu en novembre dernier lors du lancement de la vidéo promotionnelle des célébrations du 375e de Montréal en raison de son flagrant manque de diversité artistique.
Ce qui est déplorable et qui devrait nous interpeller en tant que société, c’est l’absence de la diversité ethnoculturelle dans les lieux décisionnels où l’on définit les orientations, allant de la conceptualisation à la mise en oeuvre de diverses initiatives. Il est fort regrettable que l’on ne soit pas encore parvenu à trouver une équation d’équilibre pour assurer la diversité culturelle des points de vue et des perspectives dans ces lieux. Le problème, effectivement, en est un de perspective et de sensibilité. Pour certains, le fait qu’un pan de la population et plus particulièrement des membres des communautés noires s’indignent à la vue d’une telle scène lors du défilé de la Saint-Jean apparaît comme un caprice. Cela traduit un manque de sensibilité culturelle et historique. Pour exprimer mon désenchantement face à ce persistant constat, je parlerai d’analphabétisme et d’aveuglement volontaire face aux questions fondamentales et enjeux liés à la diversité ethnoculturelle. Aussi longtemps que les espaces décisionnels et les sphères d’influence demeureront homogènes, la reproduction de ce type d’aberrations ressurgira au détriment du vivre-ensemble et de la cohésion sociale. Ce qui me désole encore davantage, ce sont les arguments boiteux et inconséquents mis de l’avant par ceux-là même qui ont la responsabilité de porter un regard critique sur la conceptualisation et la production de tels événements et qui ultimement en autorisent la diffusion. N’aurait-il pas été plus simple d’admettre et de reconnaître qu’il y a eu dérive en la matière et que des gens pouvaient être froissés et profondément choqués à la vue de telles scènes? On ne peut pas simplement se réfugier derrière les intentions pour excuser des erreurs. Les jeunes footballeurs noirs qui ont pris part bénévolement à ce défilé l’ont fait en toute bonne foi. N’est-ce pas ce que l’on appelle la participation civique? Ce n’est pas eux qui sont à blâmer. Évitons de les stigmatiser davantage. L’entière responsabilité de cette mascarade revient à ceux qui l’ont produite et qui détenaient le pouvoir décisionnel sur le scénario. Une expérience qui se voulait au départ positive pour ces jeunes Québécois a vite pris un tout autre tournant.
Une scène ponctuée d’anachronismes
Avant même que l’illustration stéréotypée de «Tintin au Congo, se faisant transporter par des Noirs» ne circule sur les réseaux sociaux, c’est cette image qui a surgi dans la tête de mon fils, trouvant la scène du défilé de la Saint-Jean absurde et dégradante. Une scène caricaturale désolante qui renvoie à des clichés et à un folklore de mauvais goût et passéiste digne d’un autre temps. Certains diront que tout ceci n’était pas intentionnel. Je le pense aussi, mais lorsqu’on est appelé à produire une manifestation publique, il revient aux responsables et à ceux à qui l’on confie le mandat de prendre en compte certains paramètres sociaux et culturels pour éviter les glissements de sens et les dérives.
Ce qui est toutefois encourageant dans cette triste histoire, c’est que l’alarme a été déclenchée par un spectateur, sensible à la réalité diversifiée de la société québécoise, qui a affirmé en diffusant la vidéo qu’il a captée: «J’pas sûr que les organisateurs de la parade ont compris le concept de diversité. » Non, effectivement, ils n’ont absolument rien compris au concept de diversité, ni à la notion d’inclusion.
Une telle insensibilité est d’autant plus regrettable que le défilé revêtait un caractère historique s’articulant sur différents chapitres, de la fondation du fort Ville-Marie jusqu’au Montréal d’aujourd’hui.
Cette controverse entourant un défilé de la fête nationale qui se voulait pourtant inclusif et ouvert aux Montréalais et Montréalaises de toutes origines laisse malheureusement un goût amer.